mercredi 5 août 2009

Mercredi 5 août

Hit the road Jack…

C’est bizarre comme dans certains contextes on n’a plus besoin d’alarme pour se lever, où il suffit de décider la veille à quelle heure on veut se réveiller et où le chrono interne se met en marche. On avait dit qu’on prendrait le petit-déj avec Guy à 8h alors j’ouvre les yeux à 7h20. Sam, la fille qui assure le service dans la salle commune, demande si j’ai trouvé ce que je cherchais à Target hier, elle se souvient de tout. Toujours calme et souriante, elle sert les mômes qui grimpent sur les tabourets du comptoir chaque matin avec leurs airs gâtés. Je me demande comment ils réagiront le jour où ils auront à gagner eux-mêmes l’argent nécessaire pour habiter un palace pareil. Avant de partir au bureau, Guy me bippe l’ascenseur et me rouvre l’appart pour que je puisse terminer les bagages, consulter la carte et décider du chemin à suivre.

Quand je traverse le hall à 9h15, deux portiers accourent pour m’aider avec les sacs. Dehors sur le parking les voitures brillent sous le soleil, sauf une qui détonne par la couche de crasse qui l’enveloppe. Suis un peu gênée, le gars rigole dans sa barbe. M’installe au volant de cette voiture que je connais bien pour l’avoir pratiquée plus d’une semaine mais sans l’avoir jamais conduite moi-même. Je ne trouve pas le levier pour faire avancer le siège conducteur, appelle Marco qui ne sait plus, finis par consulter le manuel d’instruction. Ehrm. A 9h30 je suis toujours en train de consulter la carte, partir vers l’est ou vers l’ouest ? J’ai la tête qui tourne de calculs de jours et de tarifs ; si je ramène la caisse à Denver il faudra payer un billet d’avion jusqu’à San Francisco, si je la dépose à SF il faudra payer un drop-off fee. Les deux montants sont du même ordre et ça m’arrange pas. Coup de mou, voire grosse fatigue qui m’envahit. C’est pourtant pas compliqué, qu’est-ce que j’ai envie de voir pendant les six jours qu’il me reste ? Je ne sais plus… Il me semble désormais évident que le choix de rester à Las Vegas un jour de plus tenait précisément à ce dilemme. Le démarrage d’un voyage en solitaire est lourd. Ca me rappelle d’ailleurs que j’avais décalé le jour du départ de Boston il y a deux ans. Bref, qu’est-ce qu’on fait ? Direction sud-ouest. D’accord. Euhm non, sud-est plutôt. C’est mon dernier mot ? … Moui. Bon allez on y va, sinon il sera midi et l’heure de manger puis de la sieste et il sera encore trop tard pour partir. Pro-cra-sti-na-tion.

Je tourne la clé, regarde dans le rétro pour faire marche arrière mais n’y vois rien tellement la vitre est crade. Le grand veau démarre doucement, répond à mes commandes, je mesure sa taille et sa réactivité. Ca va aller. M’avance jusqu’à la barrière, fais un sourire aux gars en costume noir et oreillette qui m’ouvrent la grille et m’abandonnent à moi-même. Plus possible de revenir en arrière, j’ai pas les bips et les cartes magnétiques pour remonter dans l’appart. Tourner à gauche au premier feu, monter sur Sumerlin Highway, faire le tour de la ville par le nord, récupérer la 515. Mais ce sont les indications que Guy avait données dans l’hypothèse où je partais vers l’ouest ? Pas grave, je trouverai bien. Continue de rouler, regarde les panneaux, ça a l’air pas mal, une indication vers Hoover Dam, c’est bon. Je laisse Vegas derrière moi, perçois de loin l’eau turquoise de Lake Mead puis traverse le barrage au-dessus duquel un gigantesque pont est en cours de construction.


Monte sur la colline d’en face et m’arrête au belvédère. Comme il y a deux ans moins une semaine, exactement. Appelle Jef, comme il y a deux ans moins une semaine, précisément. C’avait été notre dernier contact téléphonique avant qu’il ne me rejoigne en surprise à Las Vegas et qu’on se marie. Ce retour dans le temps me touche et ça fait drôle de repartir dans la direction opposée. Changement de cap, changement de perspective, nouvelle destination, nouveaux objectifs. Nouvelle vie. Je sens une envie de rentrer tout de suite à Paris. A quoi bon repartir sur la route, le Voyage a déjà été réalisé avec Marco les dix premiers jours ? J’ai vécu tellement de sensations, vu tant de sites incroyables, qu’est-ce qu’il reste à découvrir ? Les dix jours restants sont-ils vraiment nécessaires ? Ces questions me taraudent jusqu’à ce que s’allume le voyant lumineux rappelant que le réservoir d’essence sera bientôt vide. J’ai clairement perdu mes réflexes. Ne pas paniquer, une station se dessine au loin. Note pour plus tard.

Prochain arrêt à Kingman vers midi où je revois le joli panneau à côté d’un cactus géant indiquant Bullhead City vers la droite, Las Vegas en face. A l’époque je n’aurais jamais pensé que je reviendrai sur mes pas. Je mange un BLT dans un diner « originel » de la route 66, profite de la connexion wifi pour envoyer des mails et checker les indications pour me rendre à la destination du jour enfin arrêtée.
Repars sur la 40 West jusqu’à Ash Fork où je m’arrête de nouveau pour une micro-sieste sur un parking de station-service, la voiture noire se transforme vite en four. Un Red Bull et ça repart par la 89 South. Je trouve deux nouvelles stations radio, l’une trip-hop et l’autre électro, parfait. Traverse Chino Valley et Prescott avec leurs grandes surfaces et villages de trailers. A Cordes Junction et sa rencontre avec la 17 j’ai un doute ; monter vers le nord ou descendre vers le sud pour trouver un motel ? Au pif je descends, mais change d’avis à la première sortie proposée. Sais pas trop pourquoi, mais reviens sur mes pas et sors finalement de l’autoroute à Junction. Comme il y a un Mc Do et une station Shell, il y aura peut-être un endroit pour crécher. Bien vu, le RV Park propose aussi quelques chambres en dur.

Il est 17h, l’air sec et très chaud. Je passe devant le Shell, trouve un chemin de graviers qui mène au office du motel. La station radio n°35 joue un piano ténébreux, je me demande si je fais une connerie en m’arrêtant ici. Le parking est vide, un type en casquette et barbe me regarde de loin. Quelques RV parqués derrière une clôture en bois, branchés sur la prise d’eau commune. Un panneau affiche les prix au jour, à la semaine, au mois. La mienne sera à $42 avec connexion wifi. Le CJ diner ouvre dès 6h30 me dit la blonde pendant que je remplis la fiche. D’accord. En fait je suis venue pour visiter Arcosanti, vous connaissez ? Oh oui, la route part juste derrière la station-service. C’est sympa ? Paraît que oui ; depuis quatre ans qu’on gère le motel on y est jamais allé, c’est à 2 miles mais quand on a un jour de libre on préfère aller au casino. Tu viens d’où, demande son mec. De France et de Suède. De deux pays !? On n’a jamais eu de clients suisses. Elle dit qu’elle vient de Suède pas de Suisse, rétorque la blonde. J’sais pas moi, nous on est d’Arizona. Check-out à 11h ; ok. Fumeur ? Oui ; faudra fumer dehors. Animaux domestiques ? Non. Elle coche les cases sur la fiche.

La chambre 12 se trouve tout au bout de la maisonnée. Je pars au Mc Do chercher la salade plastique du soir, pour les bières il me faudra revenir avec une carte d’identité. Je ne l’interprète plus comme un compliment, juste comme une application de La Règle. Réalise qu’il me manque le mot de passe pour la connexion Internet et reviens au office. Pas de problème me répond le type, il sort un papier et commence à écrire BORN… IN… THE…, il marque une pause pour vérifier, ... USA. Voilà ! Merci. Mange la moitié de la salade plastique en regardant Fox News et un débat conversant de la bêtise simulée, ou non, de Sarah Palin aux dernières élections. M’installe devant la chambre sur un banc éphémère. Le néon vert du CJ diner juste en face devient de plus en plus lumineux à mesure que la nuit tombe. Son ventilateur souffle incessamment. Un vieux en t-shirt bleu clair au short assorti fait un tour dans sa chaise mécanique sur le parking, inspecte les camions devant la station Shell et les prés jaunis qui s’étendent devant nous avant de rentrer se garer devant sa chambre.

Le ciel est passé du bleu au rose au jaune, le vent chaud m’enveloppe. A 20h il fait déjà nuit noire. Le cordon d'alimentation est assez long pour brancher l'ordinateur même à l’extérieur. En fin de compte je suis pas mal.

1 commentaire:

  1. C'est vrai que c'est dur de laisser le confort de l'immeuble de Guy. Mais bon, te revoila sur la route, au volant de Tractosor Jr, qui sera, j'en suis sur, a la hauteur de son predecesseur il y a 2 ans (l'inenarrable Tractosor 1er). Et fait gaffe aux ritals d'Arcosanti!

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