jeudi 6 août 2009

Jeudi 6 août


Arcosanti

Réveillée plusieurs fois cette nuit parce que j’avais froid. Satané air conditionné. Refais le sac devant Fox News, les débats publics autour du fameux health care plan qu’Obama peine à mettre en place sont houleux. Petit-déj au CJ diner de l’autre côté du parking. La chaise mécanique du vieux en t-shirt bleu beepe quand il fait marche arrière pour se garer à la table. La serveuse est particulièrement gentille avec lui. Finalement, passer sa retraite entre un motel et un diner n’est peut-être pas si mal.

A 10h je laisse les clés de ma chambre dans la boîte aux lettres du office et entame la route de graviers derrière la station Shell. Des panneaux indiquent clairement que je suis sur le bon chemin. 2 miles plus loin j’arrive à Arcosanti, le laboratoire urbain de Paolo Soleri en construction depuis 1970. Me gare sur le parking vide en haut d’un plateau et m’avance vers la réception. Des cloches retentissent dans le vent, on se croirait dans les Alpes. La femme aux cheveux très courts et tatouage me dit que la prochaine visite commence à 11h. En attendant je peux faire un tour sur le visitor’s trail qui me mènera sur le plateau d’en face duquel j’aurai une belle vue d’ensemble du village. C’est parti. J’aurais dû mettre des baskets ; un peu difficile de grimper sur les rochers en sandales et j’ai peur de croiser un serpent. Reviens en nage 40 minutes plus tard, juste à temps pour assister à la projection d’une vidéo présentant le projet d’Arcosanti et la vision de son auteur-créateur.

Après un doctorat en architecture à l’Université de Turin, Paolo Soleri s’installe aux Etats-Unis à la fin des années 40. Entre autres occupations il produit des cloches (je me rendrai d’ailleurs compte qu’il y en a partout) et en vend visiblement assez pour auto-financer ses recherches et débuts de création d’un monde meilleur. Il part du principe que le mode de vie américain, urbanisme étalé tout motorisé (urban sprawl), représente une réelle menace écologique et qu’il est donc urgent de repenser la Ville et l’Habitat. D’où le fondement de sa théorie de l’Arcology - architecture et écologie. Jusqu’ici tout va bien. Mais rapidement on sent poindre les jugements de valeur du style « avant c’était mieux, quand les gens s’organisaient par communautés ». On n’est pas loin des Baruya et leur monnaie de sel étudiés par Maurice Godelier à l’âge d’or de l’anthropologie d’après-guerre vantant l’organisation sociale des gentils sauvages. Mais pourquoi pas. Au croisement de cette vision traditionaliste et du désir de rationalisation cher à Le Corbusier, Paolo Soleri propose de construire des villes complexes et concentrées. Pourquoi se limiter à concevoir des habitats individuels quand on peut penser écologie globale ? C’est ainsi que naît le projet d’Arcosanti, une ville durable prévue pour accueillir 5000 personnes, à dupliquer à travers le monde. Sauf que le prototype n’abrite aujourd’hui qu’une centaine de personnes et qu’il n’a jamais réussi à grandir. Faute de moyens. Parmi les résidents actuels quelques croyants de la première heure, cheveux longs et t-shirts décolorés, et des plus jeunes, en général de passage pour quelques semaines ou mois.

Le gars qui nous fait la visite est électrique, parle sans reprendre sa respiration pendant une heure et demie. Lui vient de Californie, va commencer son PhD d’archi, réside ici depuis deux mois. A raison de 40h de travail par semaine pour la collectivité, il est logé et nourri. Et il ne se sent pas un peu claustro des fois, ça ne lui manque pas l’anonymat ? Je veux dire, à habiter une esquisse de ville au milieu d’un plateau aride de l’Arizona, t’as pas envie de retourner à la ville de temps en temps ? Bien sûr la ville me manque, Gosh j’ai jamais été aussi personnel lors d’une visite guidée, ouais non je ne passe que quatre jours par semaine ici, le reste du temps je suis en vadrouille. Ca veut donc dire qu’il a une voiture, c’est mal. Un oldtimer aux cheveux gris et t-shirt « I got out of bed for this » intervient, reprend sèchement mes questions malvenues pendant qu’il s’allonge sur un canapé dans l’une des pièces de vie commune. Ca va j’ai compris, je lui dis quand même salut avant de suivre le guide survolté, le vieux me répond à peine.

La visite se termine dans la cafétéria où on est invité à déjeuner, $6, pratique. Le chien fou s’est déjà élancé pour le prochain tour et je déjeune avec Ted et Nadini, un couple Asiatique-Indien en transit. Ils quittent Las Vegas pour s’installer à San Antonio - Texas où Ted vient d’avoir un poste de chercheur. On rigole bien tous les trois, aucun doute ils sont « éduqués » comme on dit ici et clairement Démocrates. On est d’accord pour dire que l’analyse de Soleri est bonne, mais aucun de nous ne se verrait habiter un tel complexe. Parce que tel que le présente le modèle en miniature d’Arcosanti quand il sera abouti, la vie économique, familiale et sociale évoluerait dans un espace quand même restreint, bien concentré et tout en hauteur. Reste que ce projet retrouve une dynamique par les temps qui courent ; le souci du gaspillage, la culture macrobiotique et la crainte d’un avenir sans atmosphère sont des valeurs qui ont le vent en poupe.

Je remonte dans mon SUV polluant vers 13h30 et descends la 17 jusqu’à Phoenix. J’en avais un mauvais souvenir de mon passage il y a deux ans et malheureusement ça se confirme. L’autoroute qui longe la ville compte pourtant six files, mais toutes sont bloquées. J’y passe une première demi-heure. Mon méchant SUV étant moderne, il indiquait depuis quatre jours déjà qu’il faudrait penser à changer l’huile du moteur. On avait décidé avec Marco de pas y faire attention, habitués au voyant lumineux et aux bips réguliers. Sauf que là, au milieu des accordéons, le message néon me précise soudainement que ça devient urgent. Ehrm. Je quitte l’autoroute pour m’aventurer dans Suburbia, demande conseil à un gentil pompiste qui me conseille d’aller chez Wal-Mart trois avenues plus bas. Le gringalet aux multiples piercings commence à remplir une fiche, nom, adresse, numéro de téléphone, j’en ai pas, pas grave, on vous appelle dans le supermarché quand on aura fini. Finalement je suis contente de marquer une pause et pars à l’aventure dans la gigantesque-hyper-surface pendant 40 minutes. Reviens au comptoir, la voiture n’est pas encore prête, mange une salade plastique entre des rayonnages de pneus et de matériel de chasse, m’endors à moitié. On m’appelle enfin ; on a changé l’huile mais pas le filtre alors vous n’avez rien à payer. Comment ça, c’est bon ou c’est pas bon ? On a changé l’huile mais pas le filtre. Ok… Je reste perplexe, le gars a l’air de trouver ça rigolo. Je ressors sur le parking bouillant, demande à un autre type où se trouve ma voiture, c’est une Ford noire, humm, très sale. Oui elle est là-bas. Merci. M’installe au volant, le voyant me dit toujours qu’il faut que je fasse quelque chose pour l’huile, je ressors de la caisse. Le type me repère de loin, arrive vers moi au galop, j’explique que je suis pas certaine d’avoir bien compris. Son collègue le rejoint, ils ouvrent le capot, dégainent les torchons, vérifient le niveau d’huile. Are you a dancer, me demande l’un d’eux. Pardon ? C’est bon, tout va bien, vous pouvez rouler sans souci. Merci. Je repars pas tout à fait rassurée, je verrai bien si ça sent le cramé. En fait je sais même pas ce que ça implique un problème d’huile de moteur. Pas pour rien que j’ai pas de bagnole dans la vie normale.

Ne retrouve plus l’entrée de l’autoroute, perds une autre demi-heure, ça va faire deux heures que je patine. Parviens enfin à remonter sur la 17 mais la transition vers la 10 West est interminable, un premier accident, un deuxième a crevé, un troisième blocage pour cause de roadworks, rester calme je suis en vacances. Ma montre indique 17h, celle de la voiture 18h, ça fait longtemps que j’ai perdu le compte ; je ne sais plus quel jour on est, ni l’heure exacte. Est-ce que l’Arizona, le Colorado et la Californie sont dans le même fuseau ? Faudrait se fier à la position du soleil mais je m’y connais pas plus qu’en huile de moteur. Alors je continue de rouler jusqu’à ce qu’un autre voyant lumineux dit qu’il faut mettre de l’essence. Ca je sais faire, sauf que là c’est ma CB qui fait des acrobaties. Elle finit par passer, pas rassurant pour la suite. Et si j’avais atteint la limite de retrait / encaissement, comment je fais pour revenir jusqu’à SF ? On verra bien, là j’ai juste envie d’arriver quelque part.

La 10 est rectiligne pendant 55 minutes, les fuseaux horaires sont unanimes. Devant moi le soleil décline, j’adore l’Arizona en fin de journée, plate à perte de vue et bordée de montagnes dans tous les dégradés de bleu imaginables. Juste avant de franchir la frontière de la Californie je quitte l’autoroute, les environs sont passés au rose pale, les drapeaux des magasins longeant l’avenue principale flottent dans le vent chaud, m’arrête devant le premier motel repéré. Le office se trouve dans une minuscule cabane en bois, je sonne, le moustachu en débardeur du Quartzsite Yacht Club demande ce qu’il peut faire pour moi. La chambre est à $53 tout compris, un peu cher mais j’ai envie de me poser.

Ce sera ma première nuit dans un trailer, j’avais pas fait attention en enregistrant. C’est pas mal, plus spacieux que ce que j’aurais imaginé. Le dessus de lit est le même que dans tous les motels pratiqués aux Etats-Unis ces dernières années, ainsi que le petit savon emballé dans la salle de bain. Si mon cabanon est fumeur, je préfère tout de même m’installer sur les marches métalliques donnant sur ma voiture toujours enveloppée d’une pellicule de sable de l’Utah.

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