dimanche 9 août 2009

Samedi 8 août


Bagdad Café

Un mal fou à me réveiller et comme je ne sais pas dans quelle time zone je suis, je ne sais pas non plus si on va me mettre dehors tout de suite ou dans une heure. Dans le doute je m’active et rends les clés de la 108 quand ma montre indique 10h. A Yucca Valley je remets de l’essence au cas où ; la pompe fait sa maligne et je dois faire sortir le moustachu en chemise hawaïenne au regard ténébreux. Comme je l’ai cassée, il propose de me garder en contrepartie. Voulez pas la caisse plutôt ?

Je monte par la 247, un espace laissé tout blanc sur la carte. Il n’y a effectivement pas grand-chose. Mais c’est beau, des collines marron, de la poussière, quelques trailers parqués ça et là. Quand je me retrouve à Apple Valley je réalise que j’ai dû louper le seul chemin qui partait vers la droite. Reviens en arrière, dans le coltard, j’ai décidemment du mal ce matin. Entame le Red Bull de survie qui fait son effet en quelques minutes. Je me demande ce qui motive les gens à s’installer dans le Mojave Desert ; c’est joli, pas de problèmes de voisinage et le prix des terrains doit être intéressant. J’aperçois d’ailleurs ce qui ressemble à des campements de fortune, peut-être des rejetés d’une grande ville ? Changement d’ambiance à l’approche de Barstow, tout de même honoré d’un petit carré sur la carte, avec sa bretelle d’autoroute et grands magasins.
Je récupère un bout restant de la route 66, direction est, qui se glisse entre la voie ferrée et la 40. Je suis émue à chaque fois que j’emprunte des parcelles de la Mother Road, regarde toujours les environs d’un autre œil en tentant d’imaginer l’état d’esprit dans lequel se trouvaient ceux qui partaient à la conquête moderne de l’Ouest. Quand la nouvelle autoroute n’est pas loin on peut être certain que la 66 sera vide, ce qui permet de conduire plus vite et dans ce cas précis de profiter des « dips » ; ils font l’effet d’un toboggan et des papillons dans le ventre, j’adore.

A Newberry Springs je ralentis. Il n’y a pas grand-chose mais je sais ce que je cherche. Je vois le grand panneau vertical défoncé de loin. M’arrête pour l’admirer, puis m’en rapproche. D’un côté du parking vide, deux caravanes métalliques abandonnées. De l’autre, Bagdad Café, petite maison en bois peinte en rouge. Il est 13h et temps de déjeuner alors je pousse la porte vitrée d’un de ces lieux qui ont marqué notre jeunesse. Le comptoir et les petits boxes sont d’origine, les décorations murales en revanche portent la trace des nombreux visiteurs depuis 20 ans. Mark apporte un menu en précisant que le burger hautement recommandé pour les gastronomes, du coup un peu plus cher, n’est pas sur la carte. Vas-y pour un Buffalo Burger. En mastiquant la semelle je me demande à quoi aurait ressemblé un burger normal. On m’apporte le livre d’or, ça nous ferait plaisir que vous signiez. En feuilletant les pages je me demande s’il ne s’adresse qu’aux touristes français. C’est vrai que 75% de nos clients sont Français. Des quatre tables occupées, une seule est non-francophone. En payant la fille me demande si je ne veux pas être prise en photo derrière le comptoir ? Mark le cuistot ressort de son cagibi, m’entoure solidement de son bras recouvert de graillon, évite d'exposer son sourire édenté à la caméra.
Pourquoi les gens se sont-ils installés dans ces collines ? Parce qu’ils sont coucous. Euh non, parce que le ciel étoilé est énorme et que l’air est frais. On dirait pas aujourd’hui, là le vent souffle depuis la côte alors on y voit pas clair, mais d’habitude c’est cristallin. Aux yeux de la Parisienne, le ciel bleu du jour paraît déjà pas mal. Le père de famille français observe nos échanges d’un demi-sourire, mi-suspicieux mi-ahuri. Sur le parking deux white trash aux cheveux gras échangent autour d’un pick-up. Time to get out of this place. En revenant vers Barstow un panneau indiquant un ghost town attire mon attention. Une dizaine de mètres plus loin, des trailers astiqués cohabitent avec des naufragés. Mais je réalise que la ville fantôme ne doit pas être celle-ci ; c’est juste normal que les gens abandonnent leurs anciens habitats. Je laisse tomber la vraie ghost town et remonte sur l’autoroute, faut que j’avance.

Poursuis la 58 West en passant par Hinkley, Four Corners, Mojave. Suis à mi-chemin. Continue à travers des collines aux herbes desséchées, un gros en 4x4 squatte la file de gauche empêchant tout le monde de passer. Les panneaux rappellent constamment que des radars contrôlent notre vitesse, j’ai pas envie de me prendre un ticket. J’arrive enfin à Bakersfield où les panneaux sont nombreux et compliqués à lire en même temps que la carte, sors au pif, moment de doute, c’est bon. La 99 North rejoint la 65, damnés poids lourds, j’éteins l’air conditionné et ouvre la fenêtre, zappe entre les stations radio, me divertis en regardant les nombreuses machines pomper le pétrole enfoui par ici, commence à avoir faim. Porterville propose trop de sorties au vu de mon état, je tourne mais ne trouve pas de motels bas de gamme, m’arrête finalement au Palm Tree In. Le gars me demande de remplir la fiche, elle est à combien la chambre, attendez j’appelle ma femme. La femme arrive, ça dépend, il y en a à $53, à $47 et à $43. Venez les regarder. C’est bon, elles ont la connexion wifi ? Venez avec moi, d’accord. Je finis par signer la fiche, la 110 est la plus chère. C’est pas le prix qu’on avait convenu ? Si si, et je vous fais le king size gratos. Hmm.

Vais à Wal-Mart acheter une salade de pâtes, puis à Chevron acheter des bières. En inspectant mon permis la caissière adore que je vienne de Paris. Elle joue aux cartes sur Internet chaque nuit et trouve formidable de communiquer avec des gens de Tchécoslovaquie, d’Australie et même d’Ontario – Canada. Sa mère qui a 89 ans gagne au poker tous les soirs dans sa maison de retraite. Ses yeux trop maquillés me transpercent. Devant ma chambre mon voisin direct vient me converser. Son père est Black-American, sa mère Japonaise. Il me demande si le fait de voyager seule est une façon de renouveler mes vœux, euhm on est pas très religieux avec mon époux. S’en suit un long débat sur le sens de la vie, la crise financière et la grippe, comment, porcine. Parce que les cochons sont malades ? On a besoin d’un vaccin pour aller en Europe ? Les hommes ont toujours été violents et créé l’injustice, ça ne changera jamais. Alors il ne reste que la foi, le contraire de l’espoir. Bizarre rencontre. Une heure plus tard j’ai toujours autant de mal à le cerner ; un discours construit et réfléchi mais qui dérape régulièrement. Enfin de ce que j’en entends, parce qu’accroupi à distance respectable, l’homme parle très bas. J’écourte la discussion, il tente tout de même sa chance. Suis-je vraiment heureuse dans mon couple ? Bonne nuit.

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