jeudi 13 août 2009

Jeudi 13 août


Angel Island

Quand je me lève à 8h30 Felitia est déjà partie à l’école et Manuella propose de me déposer down town. Je préfère commencer par une séance dans la salle de gym repérée dans le quartier, suivie d’un sandwich macrobiotique, puis le N jusqu’à down town. Petites habitudes obligent. Arrive aux docks, le bateau part 30 quais plus loin, ok, longue file d’attente pour acheter un ticket, décide de faire l’excursion même si je n’aurai qu’une heure et demie sur place.

Le ferry traverse la baie sous un ciel bleu impeccable, ça vente pas mal. Arrivée à Angel Island, le Ranger explique que j’arrive trop tard pour la visite guidée et pour le shuttle qui aurait pu m’emmener. M’élance donc à pied, les minutes sont comptées. Mais à l’entrée du chemin 200 mètres plus loin un écriteau rappelle qu’il fallait acheter les tickets plus bas alors je reviens en arrière. N’étant pas seule à avoir relevé le défi, je rattrape un père, sa fille et son copain sur le chemin. Lui est un ancien State Trooper du Texas qui a décidé de refaire une carrière maintenant qu’il est à la retraite alors il est devenu prof de physique. On discute élèves à problèmes. Vingt minutes plus tard et en nage, on atteint notre objectif : The Immigration Station. Je demande à une Ranger si je peux rejoindre la visite guidée à la mi-temps, pas de problèmes, je la suis à travers les pièces racontant l’histoire des migrants d’Asie de la première moitié du siècle, ne peux m’empêcher de lui poser des questions alors elle finit par me faire une visite privée.

Angel Island fait d’abord penser à Ellis Island, île de transit pour les migrants Européens lorsqu’ils arrivaient à Manhattan. Sauf que Angel Island n’a vu passer qu’un million de passagers, un rien comparé aux 12 millions de la côte est. Ce qui s’explique d’une part par le fait que les Chinois, les plus nombreux à vouloir émigrer, en étaient interdits par la Chinese Exclusion Act. Un des nombreux chapitres ambigus de l’histoire du pays. D’autre part, on n’y faisait transiter que ceux dont les papiers n’étaient pas en règle ou présentaient « un problème », personne de mauvaises mœurs, délinquant ou autre forme de terrorisme potentiel. Les murs des baraquements sont couverts d’inscriptions gravés au couteau, maintes fois repassées à la peinture.
Les conservateurs du musée en ont décodé plus d’une centaine. Bon nombre sont des poèmes, d’autres des témoignages de la vie quotidienne et des difficultés rencontrées, d’autres enfin de simples signatures en mandarin, japonais, thaï, hindou, russe. Le centre d’immigration ferme en 1940 pour devenir un haut lieu militaire préparant les interventions dans le Pacifique, puis un centre de rétention de prisonniers de guerre. D’où également quelques commentaires en allemand. Türe Zu !

Ne pouvant me permettre de louper le dernier ferry, je repars vers l’embarcadère au pas de course sous un soleil de plomb. La vue sur la baie est magnifique, l’eau turquoise bordée de palmiers, des voiliers ça et là. Couleur locale, je discute avec les autres passagers. Vous venez d’où, ah oui, et vous êtes en ville pour combien de temps ? On nous fait débarquer au premier arrêt, on repart dans dix minutes. Entre temps un problème mécanique fait apparition, dont on n’est informé que quarante minutes plus tard, à peine agacée je prends un tram. Suis maintenant comme un poisson dans l’eau avec les transports publics et partage le trajet des costards-cravates.
Arrive en bas de California Street, en refais une trentième photo. Papote avec le conducteur du tramway vu tant de fois au cinéma, descends sous terre prendre le N qui me ramène à Golden Gate Heights. Felitia revient de l’école, fatiguée des réunions de rentrée interminables. Faut croire que les déformations et lassitudes professionnelles sont transculturelles.

Alors que la journée avait commencé dans un nuage, le ciel est resté bleu vif depuis midi. Demain lever à 5h pour un premier avion, puis un second à Charlotte, pour arriver, si je ne loupe pas la correspondance, à Paris samedi 15 août à 6h40. Je garderai un bon souvenir de San Francisco. Sans parler de l’émotion ressenti sur les sites visités, le long des paysages parcourus et au contact des gens rencontrés pendant ces trois semaines on the road.

Mercredi 12 août




Alcatraz

«Break the rules and you go to prison. Break the prison rules and you go to Alcatraz» (Anonyme)

Réveil à 9h suivi d’un jogging dans le parc. Toujours mal aux pieds. Déjeuner macrobiotique sur la 9ème avenue, tramway N (« N as in Not and Never » – il arrive pas souvent). Descends tout en bas de Market à l’entrée du port, marche jusqu’au Pier 39. J’ai eu la chance de trouver un ticket en ligne, merci Felitia, il faut normalement les réserver une semaine à l’avance en saison haute. Attends dans l’enclos à bétail que notre ferry soit prêt à partir, monte sur le pont supérieur, la traversée ne dure que 15 minutes. En descendant du ferry on est invité à écouter les instructions dispensées par une Ranger à peine sortie du lycée. Interdiction de manger et de fumer sur l’île, seules les bouteilles d’eau sont autorisées. Le dernier bateau repart à 18h10, ne pas le louper. Oui mon Général. On n’est pas à Alcatraz pour rien.



Commence par regarder la vidéo résumant l’histoire de l’île, qui ne se limite pas qu’aux prisonniers et tentatives d’escapade. Gravis la colline et pénètre dans The Rock. Des employés habillés mi-Ranger, mi-gardien distribuent des casques audio. S’avancer jusqu’au premier panneau, allumer la console, ne pas déconner. C’est parti. Le tour guidé individuel est hy-per-bien-fait. Vraiment. Les témoignages de réels anciens gardiens et d’authentiques ex-détenus sont baignés dans un fond sonore plus que réaliste ; crachats, hurlements, coulissement de grilles, exclamations, poignardages, on s’y croirait.
Certaines cellules présentent des objets personnels très touchants, peintures, pipes, jeux d’échec, tricotages ( !), instruments de musique. Chacun ayant démarré son tour individuel séparément, les visiteurs se croisent et se recroisent à différents moments de l’histoire contée. C’est un joyeux bordel mais qui reste fluide. Et pas moyen de savoir en regardant le visage des autres ce qui va se passer ensuite. Les trois cellules des rares détenus ayant réussi à s’évader, ici grâce à la force de cuillères pour percer le mur et au savon pour fabriquer des têtes de mannequin, me touchent particulièrement. Ils ont donc réussi à s’échapper de la prison réputée la plus sûre du monde en son temps. Respect. Grand respect. Comme leurs corps n’ont jamais été retrouvés, la version officielle en déduit qu’ils ont dû se noyer. Mais non les gars, ils se la sont coulée douce dans un n’importe quel pays d’Amérique Latine ! Pourquoi ne pas reconnaître l’infaillibilité du système ? Note pour plus tard.


Entre phantasmes et réalités, paraît que la vie à Alcatraz aurait été un tout petit peu moins horrible que le veut la légende. Enfin, c’est ce que raconte la version enregistrée. Les repas n’étaient pas si mauvais, et les requins qui infestent la baie de San Francisco ne sont pas mangeurs d’hommes. N’empêche que la température de l’eau et les courants restent une réalité. Quant aux familles de gardiens qui vivaient là, elles étaient plutôt très contentes ; elles ont introduit nombre de plantes, les enfants jouaient en plein air, bénéficiaient d’une vue splendide et laissaient toujours leurs portes ouvertes. Femmes et enfants n’avaient aucun contact avec les détenus. Qui eux par contre pourrissaient dans leurs cellules infâmes en entendant parfois des rires s’échapper des nombreux bars et bordels de la rive non loin. “These five words seem written in fire on the walls of my cell: nothing can be worth this” George -Machine Gun- Kelly, inmate n°117. Mais la version officielle a préféré souligner les mots d’un autre ancien détenu expliquant que son expérience d’Alcatraz en a fait un homme meilleur. Formidable. Il devait avoir bénéficié d’une éducation, ou s’était peut-être converti en prison. Je suis injuste car probablement trop baignée par la culture romantique des loubards cinématographiques. Qu’est-ce qu’on en sait au final de ce qui s’est réellement passé sur The Rock ? Pas grand-chose, à part les films de Hollywood et le audio-tour officiel.

Attrape l’avant-dernier bateau pour San Francisco, retrouve Manuella à son bureau qui m’embarque sur son scooter pour un dîner en tête-à-tête à Castro, le quartier gay. Quel changement d’ambiance, et quel plaisir de voir se balader main dans la main des vieux aux cheveux grisonnants, des Teddy Bears piercés et sur-musclés, des obèses tatouées sur les avenues encadrées de drapeaux arc-en-ciel. On dîne à Harvey’s, le bar en hommage au politicien du même nom, en discutant des droits des homosexuel(le)s et de ce qu’Obama leur a promis et fait, ou pas.

Merci Hollywood pour nous avoir fait connaître tout ça, pour le meilleur et pour le pire.

mardi 11 août 2009

Mardi 11 août


Haight Ashbury

Réveillée à 9h pile. Manuella endosse ses baskets en expliquant qu’elle part au travail. C’est bon de voir des avocats non-costumés. Felitia prépare la rentrée des classes et moi je traîne. Descends finalement vers le Golden Gate Park pour un jogging, ça change des Buttes Chaumont. Un peu plus grand, un peu plus de SDF, un peu plus de jardins botaniques magnifiques. Incertitude quant à la tenue la plus appropriée au climat changeant, je sors avec un pull qui s’avérera plus qu’utile. Déjeuner dans le diner du quartier, je me sens comme dans une série télévisée.

Longe le parc et bifurque sur Haight Street, l’ancien quartier hippie. Aujourd’hui c’est un attrape-touristes avec ses boutiques de fringues Indiennes et autres encens. Des Allemands avec appareil photo, des mecs-à-clebs, des punks piercés en skate, d’anciens hippies la soixantaine aux cheveux longs grisonnants. Et beaucoup de magasins vintage. Une nana me raconte son histoire de comment elle a fini dans la rue, je savais au moment où je me suis arrêtée que ça finirait par une demande d’argent. Mais son histoire en valait la peine.



Continue sur Fulton jusqu’à Market, jamais vu une telle concentration de SDF. Des anciens aux plus jeunes, tous portent les mêmes stigmates de la rue. Commence à grimper la colline vers China Town, Manuella m’appelle et m’invite à la rejoindre elle et son collègue dans leur bar habituel. Optimiste, je réponds que j’y serai dans 20 minutes. C’est mal connaître San Francisco et ses collines. Elles m’accueillent avec des pintes, le serveur ne sert pas de demis. En semaine le bar est calme, difficile de croire que les clients accoudés au comptoir reviennent en trav le week-end. Dommage, mais je serai déjà repartie. Vers 18h30 on rentre retrouver Felitia, puis allons dîner dans un sushi place deux avenues plus bas. Extinction des feux à 22h, mal aux pieds.

lundi 10 août 2009

Lundi 10 août



Premier jour à SF


Grand ciel bleu ce matin et très chaud, rare pour la saison paraît-il. Manuella m'emmène faire un tour. On traverse le Golden Gate Bridge pour un déjeuner sur pilotis à Tiburon. C'est bon de manger autre chose que des BLT et des salades plastique. Je découvre les quartiers un à un, ainsi que California Street que je ne connaissais que sur la grande photo qui décore notre cuisine bellevilloise. Manuella est un excellent guide, précise et efficace, SF une belle ville avec ses maisonnées de toutes les couleurs. Y a des gens qui se déplacent à pied, certains promènent même des chiens en laisse, j'avais oublié.







L'après-midi le fameux fog fait son entrée, on perd immédiatement 5°C. Ce soir une amie de Felitia est venue nous préparer du fried chicken en direct. Les piqûres sur les poignets se sont calmées, le côté gauche de mon visage reste déformé.

Dimanche 9 août



Sequoia Park

Je me réveille couverte de piqûres d’un insecte non identifié. Balance mes affaires dans la voiture, dis rapidement au revoir au voisin en ne laissant aucune chance à une conversation interminable, m’élance vers le Wal-Mart pour acheter une crème «stop-itch». Qui n’a aucun effet. Faut que je me retienne de gratter, ça risque de mal finir. Monte la 65 jusqu’à ce que les panneaux disent de tourner à droite. Avant d’entrer dans le parc, je marque un arrêt petit-déj dans une maison en bois aux énormes ventilos. Remets de l’essence au cas où. La connexion Internet du motel ayant crashé hier soir, je cherche un wifi spot et en trouve un au Visitor Center de Lemoncove. Je passe le péage de Sequoia Park sur les coups de 13h30, $20, la file de voitures est déjà longue et moi de mauvais poil.

La mini route ondule dans les montagnes, j’aime pas les virages en épingle. On grimpe 1500 mètres en une vingtaine de minutes, l’air devient plus léger, je me souviens du désagrément ressenti à Yellowstone. Sauf que maintenant je suis seule à assurer la conduite. D’un paysage sec et brûlé on entre peu à peu dans la forêt, les pins qui bordent la route sont de plus en plus grands. Et voilà que j’aperçois mon premier Sequoia, incroyable, on en voit même pas la couronne. Me gare à l’entrée de Giant Forest et entame le petit trail autour d’un marécage. La mauvaise humeur laisse place à la fascination devant ces arbres sans fin d’un autre âge. Comme pour les cactus géants d’Arizona, je me demande ce qui a pris à la Nature d’inventer un truc pareil. On est baigné dans des senteurs pour moi inconnues jusque-là. L’air est doux, l’écorce dégage une odeur fine caressant les narines. Je m’en souviendrai. Mais la civilisation se fait vite rappeler par une bande d’Italiens en mode mitraillette aigüe. En accélérant le pas pour m’en défaire, une femme vient vers moi pour me prévenir que des ours noirs ont été repérés à proximité de la piste. Bonne citoyenne, je préviens à mon tour les Ritals qui montent d’une octave. Serait-ce une simple rumeur urbaine pour ajouter un peu de piment ? Non, je verrai effectivement un ourson gambader entre les arbres et faire ses griffes sur un Sequoia. Reviens sur le parking en gardant un œil sur la forêt, pas très à l’aise.



Remonte en voiture et roule jusqu’à l’attraction principale. Le parking construit sur quatre terrasses déverse un flux continu de visiteurs, beaucoup de familles, pas mal de Français. Le chemin pavé qui mène au General Sherman Tree fait à peine un kilomètre mais descend sur près de cent mètres. J’entends aux remarques des enfants traînant les pieds que le plus grand arbre du monde n’est pas loin, alors c’est lequel, c’est celui-là ?. Le Sequoia en question fait 84m de haut et comptabilise près de 1000 ans. Comme il est mort, il ne grandit plus qu’en circonférence. Il vaut le détour, mais les hordes de touristes altèrent quelque peu l’expérience. La mauvaise humeur revient, je remonte la pente au pas de course malgré les panneaux rappelant qu’il faut y aller mollo à cause de l’altitude, termine le tour du parc d'une traite. Ressors par la 180 West et continue jusqu’à Fresno où je déjeune d’une salade plastique. Les Mc Do sont un bon indicateur socioéconomique du quartier, voire de la ville dans laquelle il se trouve. Celui de Fresno laisse deviner des conditions de vie difficiles. Achète un Red Bull dans le Liquor Store d’à côté, les vieux Mexicains qui traînent sur le parking ressemblent à des Hobos. Je quitte cette ville agricole à 17h30, j’en ai encore pour trois heures jusqu’à San Francisco. Appelle rapidement Felitia, rendez-vous à l’aéroport où elle vient chercher sa sœur qui revient de DC.

A la sortie de Fresno je crois voir un panneau indiquant SF, quitte l’autoroute pour m’enfoncer dans des champs à perte de vue. A Los Banos, bien plus tard, les rectangles verts me réconfortent, je suis sur la bonne route. Tourne à droite sur la 5, les voitures et poids lourds sont nombreux en ce dimanche soir. Je vais être à court d’essence mais ne vois aucune station service. Ce serait dommage de terminer le voyage par une panne sèche. Sauvée par le gong à Patterson à l’approche de 20h. En repartant je réalise que la nuit est sur le point de tomber, et moi qui ne conduis jamais de nuit à cause de ma mauvaise vision. Comme pour la conduite en altitude, je sais que j’ai pas le choix alors je serre les dents. Le soleil se couche effectivement, les champs d’éoliennes géantes se dessinent devant le ciel rose criant, c’est magnifique mais j’ai pas droit à l’erreur en essayant de les photographier. C’est déjà assez compliqué de suivre les marquages blancs au sol, mon seul repère. Le rose laisse place au noir, on s’approche des agglomérations, je fixe le serpent de phares rouges, les piqûres sur mes bras et poignées se réveillent, j’allume la radio puis l’éteins, mets l’air conditionné puis l’arrête, pourvu que j’arrive bientôt. Les sorties d’autoroute sont de plus en plus nombreuses, c’est laquelle qu’elle m’avait dit déjà Felitia, si je me trompe ça va être un enfer pour s’y retrouver, ne pas gratter, mes mains sont endolories, va falloir se mettre sur la file de gauche, j’y vois rien dans le rétroviseur avec tous ces phares, ça y est je me suis plantée. Rester confiante, me répète que je conduis dans le noir depuis une heure et que c’est donc possible. Felitia m’avait parlé d’un pont, en voilà un et de l’autre côté y a la 101 que je devais prendre vers le sud. Incroyable, j’ai réussi à y remettre de l’ordre. Mais 20 minutes plus tard je ne vois toujours pas d’indications vers l’aéroport alors je la rappelle. Euhm non, ça fait longtemps que tu aurais dû tourner, ok, reviens en arrière, l’essence va encore manquer mais j’ai pas envie d’en remettre. Le temps me paraît une éternité, ça va se jouer à peu de chose près. San Francisco International Airport se dessine enfin, je trouve le rental car drop-off, désolé le gars qui fait les retours vient de partir. … Ah non regardez, il est encore là, tu peux l’enregistrer ?

J’arrête le moteur et respire profondément. Ca y est c’est bon, mais mes avant-bras sont rouges et gonflés. Je ramasse mes affaires, plus de deux semaines dans cette caisse sont longues à récupérer. Rends les clés, traîne mes sacs jusqu’au Terminal A, m’assois sur le trottoir pour fumer une clope. Un quart d’heure plus tard Felitia arrive, puis Manuella, il est 23h30. On rentre dans San Francisco, buvons une bière dans la cuisine, parlons des sites que j’ai visités. Pas le courage de défaire le canapé-lit alors je m’effondre par terre sur des coussins.

Du mal à croire que le roadtrip soit déjà terminé. Il me reste quatre jours pour découvrir San Francisco avant de revenir à Paris le 15 août au petit matin.

dimanche 9 août 2009

Samedi 8 août


Bagdad Café

Un mal fou à me réveiller et comme je ne sais pas dans quelle time zone je suis, je ne sais pas non plus si on va me mettre dehors tout de suite ou dans une heure. Dans le doute je m’active et rends les clés de la 108 quand ma montre indique 10h. A Yucca Valley je remets de l’essence au cas où ; la pompe fait sa maligne et je dois faire sortir le moustachu en chemise hawaïenne au regard ténébreux. Comme je l’ai cassée, il propose de me garder en contrepartie. Voulez pas la caisse plutôt ?

Je monte par la 247, un espace laissé tout blanc sur la carte. Il n’y a effectivement pas grand-chose. Mais c’est beau, des collines marron, de la poussière, quelques trailers parqués ça et là. Quand je me retrouve à Apple Valley je réalise que j’ai dû louper le seul chemin qui partait vers la droite. Reviens en arrière, dans le coltard, j’ai décidemment du mal ce matin. Entame le Red Bull de survie qui fait son effet en quelques minutes. Je me demande ce qui motive les gens à s’installer dans le Mojave Desert ; c’est joli, pas de problèmes de voisinage et le prix des terrains doit être intéressant. J’aperçois d’ailleurs ce qui ressemble à des campements de fortune, peut-être des rejetés d’une grande ville ? Changement d’ambiance à l’approche de Barstow, tout de même honoré d’un petit carré sur la carte, avec sa bretelle d’autoroute et grands magasins.
Je récupère un bout restant de la route 66, direction est, qui se glisse entre la voie ferrée et la 40. Je suis émue à chaque fois que j’emprunte des parcelles de la Mother Road, regarde toujours les environs d’un autre œil en tentant d’imaginer l’état d’esprit dans lequel se trouvaient ceux qui partaient à la conquête moderne de l’Ouest. Quand la nouvelle autoroute n’est pas loin on peut être certain que la 66 sera vide, ce qui permet de conduire plus vite et dans ce cas précis de profiter des « dips » ; ils font l’effet d’un toboggan et des papillons dans le ventre, j’adore.

A Newberry Springs je ralentis. Il n’y a pas grand-chose mais je sais ce que je cherche. Je vois le grand panneau vertical défoncé de loin. M’arrête pour l’admirer, puis m’en rapproche. D’un côté du parking vide, deux caravanes métalliques abandonnées. De l’autre, Bagdad Café, petite maison en bois peinte en rouge. Il est 13h et temps de déjeuner alors je pousse la porte vitrée d’un de ces lieux qui ont marqué notre jeunesse. Le comptoir et les petits boxes sont d’origine, les décorations murales en revanche portent la trace des nombreux visiteurs depuis 20 ans. Mark apporte un menu en précisant que le burger hautement recommandé pour les gastronomes, du coup un peu plus cher, n’est pas sur la carte. Vas-y pour un Buffalo Burger. En mastiquant la semelle je me demande à quoi aurait ressemblé un burger normal. On m’apporte le livre d’or, ça nous ferait plaisir que vous signiez. En feuilletant les pages je me demande s’il ne s’adresse qu’aux touristes français. C’est vrai que 75% de nos clients sont Français. Des quatre tables occupées, une seule est non-francophone. En payant la fille me demande si je ne veux pas être prise en photo derrière le comptoir ? Mark le cuistot ressort de son cagibi, m’entoure solidement de son bras recouvert de graillon, évite d'exposer son sourire édenté à la caméra.
Pourquoi les gens se sont-ils installés dans ces collines ? Parce qu’ils sont coucous. Euh non, parce que le ciel étoilé est énorme et que l’air est frais. On dirait pas aujourd’hui, là le vent souffle depuis la côte alors on y voit pas clair, mais d’habitude c’est cristallin. Aux yeux de la Parisienne, le ciel bleu du jour paraît déjà pas mal. Le père de famille français observe nos échanges d’un demi-sourire, mi-suspicieux mi-ahuri. Sur le parking deux white trash aux cheveux gras échangent autour d’un pick-up. Time to get out of this place. En revenant vers Barstow un panneau indiquant un ghost town attire mon attention. Une dizaine de mètres plus loin, des trailers astiqués cohabitent avec des naufragés. Mais je réalise que la ville fantôme ne doit pas être celle-ci ; c’est juste normal que les gens abandonnent leurs anciens habitats. Je laisse tomber la vraie ghost town et remonte sur l’autoroute, faut que j’avance.

Poursuis la 58 West en passant par Hinkley, Four Corners, Mojave. Suis à mi-chemin. Continue à travers des collines aux herbes desséchées, un gros en 4x4 squatte la file de gauche empêchant tout le monde de passer. Les panneaux rappellent constamment que des radars contrôlent notre vitesse, j’ai pas envie de me prendre un ticket. J’arrive enfin à Bakersfield où les panneaux sont nombreux et compliqués à lire en même temps que la carte, sors au pif, moment de doute, c’est bon. La 99 North rejoint la 65, damnés poids lourds, j’éteins l’air conditionné et ouvre la fenêtre, zappe entre les stations radio, me divertis en regardant les nombreuses machines pomper le pétrole enfoui par ici, commence à avoir faim. Porterville propose trop de sorties au vu de mon état, je tourne mais ne trouve pas de motels bas de gamme, m’arrête finalement au Palm Tree In. Le gars me demande de remplir la fiche, elle est à combien la chambre, attendez j’appelle ma femme. La femme arrive, ça dépend, il y en a à $53, à $47 et à $43. Venez les regarder. C’est bon, elles ont la connexion wifi ? Venez avec moi, d’accord. Je finis par signer la fiche, la 110 est la plus chère. C’est pas le prix qu’on avait convenu ? Si si, et je vous fais le king size gratos. Hmm.

Vais à Wal-Mart acheter une salade de pâtes, puis à Chevron acheter des bières. En inspectant mon permis la caissière adore que je vienne de Paris. Elle joue aux cartes sur Internet chaque nuit et trouve formidable de communiquer avec des gens de Tchécoslovaquie, d’Australie et même d’Ontario – Canada. Sa mère qui a 89 ans gagne au poker tous les soirs dans sa maison de retraite. Ses yeux trop maquillés me transpercent. Devant ma chambre mon voisin direct vient me converser. Son père est Black-American, sa mère Japonaise. Il me demande si le fait de voyager seule est une façon de renouveler mes vœux, euhm on est pas très religieux avec mon époux. S’en suit un long débat sur le sens de la vie, la crise financière et la grippe, comment, porcine. Parce que les cochons sont malades ? On a besoin d’un vaccin pour aller en Europe ? Les hommes ont toujours été violents et créé l’injustice, ça ne changera jamais. Alors il ne reste que la foi, le contraire de l’espoir. Bizarre rencontre. Une heure plus tard j’ai toujours autant de mal à le cerner ; un discours construit et réfléchi mais qui dérape régulièrement. Enfin de ce que j’en entends, parce qu’accroupi à distance respectable, l’homme parle très bas. J’écourte la discussion, il tente tout de même sa chance. Suis-je vraiment heureuse dans mon couple ? Bonne nuit.

vendredi 7 août 2009

Vendredi 7 août




Salton Sea - Joshua Tree

Maintenant je peux le dire : j’en menais pas large hier soir dans mon trailer. Le loquet de la porte ne semblant pas très costaud, j’ai voulu la bloquer avec un objet lourd. Mais comme elle s’ouvrait vers l’extérieur, j’ai juste placé une chaise pliante en équilibre pour qu’elle fasse du bruit -et me réveille- au cas où quelqu’un entrait pendant la nuit. Sioux, j’ai éteint les lumières et attendu 1h30 avant de m’endormir. Il ne s’est évidemment rien passé et je me réveille à 8h30 à peu près reposée. En chargeant la caisse je m’aperçois que j’avais laissé la clé du trailer sur la porte, à l’extérieur. No comment. C’est fou comme on peut se faire des films, à bas Hollywood.

J’entre en terre californienne, précise l’écriteau sur le pont du Colorado River. Arrêt vers midi pour bruncher dans un restau d’autoroute à Chiriaco Summit, à côté du musée General Patton exposant divers tanks et mitraillettes. C’est pratique pour ça les déserts, des super terrains d’entraînement pour un pays en guerre perpétuelle chez les autres. Plus loin un grand panneau informe que la prison d’Etat n’est pas loin. Et juste en-dessous, un autre rappelle qu’il ne faut surtout pas prendre d’auto-stoppeurs. S’en suit une longue série de bornes d’appel, jamais vus dans d’autres Etats. D’habitude ils signalent juste qu’il faut faire marche arrière en cas de tempête de neige ou de sable, c’est selon. Les déserts sont pratiques pour ça aussi, les prisons, au moins on peut être à peu près sûr que même si les prisonniers parvenaient à s’évader, ils crèveraient en tentant de rejoindre la ville la plus proche à pied. La 10 est toujours aussi rectiligne depuis hier soir mais au bout d’une heure, les indications noires sur fond jaune s’affolent. Attention il va se passer quelque chose. Un léger virage vers la gauche, j’ai failli le louper.

Je quitte l’autoroute à hauteur de Indio, me plante, reviens, trouve un chemin qui d’un coup termine sur une dune, reviens encore en arrière. Et si je laissais tomber ? Non. J’arrête de me fier aux indications et conduis au feeling. Cette route-ci semble enfin m’emmener dans la bonne direction. On m’avait dit que Salton Sea valait le détour alors je sors à la Marina. Sorte d’énorme camping rempli de mobile homes désormais sédentaires puisque posés sur des parpaings et entourés de clôtures. Les trailers ont des allures de plus en plus pourries, abandonnés, parfois brûlés.
Des fauteuils gisent le long du chemin, des carcasses de voitures, des bouts de meubles. Je suis dans un ghost camping. Avant de repartir je tiens quand même à mettre les pieds dans l’eau alors je continue jusqu’au rivage. Monte dans les dunes en faisant confiance au 4x4. Me gare au milieu du sable en laissant les portières ouvertes, ça sent pas très bon par ici. Le sable durcit et craque sous mes pieds, bizarre. M’approche de l’eau, vraiment ça pue, mais qu’est-ce qui s’est passé ici ? Je regarde par terre et découvre une tête de poisson desséchée. Garde les yeux rivés sur le sable et m’aperçois que la plage est pleine de poissons en état de décomposition varié. C’était donc ça l’odeur, hmm.
Le clapotis des vaguelettes ramène d’autres poissons et oiseaux migrateurs morts, la mousse de sel recouvre le sable. Le plus grand lac de Californie est à l’agonie, entre un fonds visiblement trop salin et le déversement de pesticides des nombreuses cultures aux alentours. Je comprends pourquoi les habitants des trailers ont quitté les lieux. Et je vérifierai la provenance des fruits et légumes chez Franprix à l’avenir. Un pick-up blanc repasse derrière moi pour la troisième fois, il est temps de repartir.

Traverse les champs irrigués à perte de vue et m’enfonce dans les collines. Je dois rouler dans un ancien lit de rivière, des rochers jaunes d’une vingtaine de mètres se dressent des deux côtés, quelques arbres morts indiquent qu’il y a eu une vie. Me sens pas très à l’aise, peu de traces humaines, il fait très chaud et je ne suis pas sûre que la route mène à l’endroit prévu. Vingt minutes plus tard c’est bon, la 10 se dessine au loin. J’aurai fait une boucle de deux heures mais ça valait effectivement le détour. La Crise n’est pas toujours financière, elle peut aussi être naturelle. L’expérience des Desert Shores de Salton Sea m’aura marquée. Je traverse la 10, continue sur le chemin d’en face et entre dans Joshua Tree National Park. Il est 16h. Le point de péage est fermé, je verrai s’il sera ouvert en sortant de l’autre côté.

Il n’est pas rare d’avoir des idées préconçues quand on se rend dans un nouveau lieu, généralement inspirées des images qu’on a pu en voir. Enfant de la X-generation j’ai grandi en écoutant U2 et suis donc venue voir, de mes propres yeux, Le Fameux Joshua Tree (1987). Mais comme souvent quand on s’attend à quelque chose de précis, on est déçu. Je m’attendais à un désert plutôt sablonneux, mais ne trouve que montagnes et caillasse. La route arpente, limitée à 35mph, mais comme les visiteurs sont peu nombreux j’en profite pour m’entraîner à la conduite sportive. Au départ je m’arrête pour lire les panneaux explicatifs, puis me limite à les lire par la fenêtre et à la fin je passe tout bonnement. C’est pas mal, mais j’en ai vu d’autres et il m’en faut désormais plus pour m’épater. L’ensemble est aride, les petits buissons secs et circulaires, y a du sable d’accord. Pas un Joshua Tree à l’horizon. Lentement mais sûrement le désert change d’allure en montant vers le nord. Une nouvelle végétation se dessine, les tas de rochers passent du noir au jaune et prennent des formes de plus en plus douces. On dirait que quelqu’un les a sculptés puis joué à Tetris, très curieux. Et voilà que j’aperçois un premier arbre qui correspond à peu près à mon souvenir. Mais pourquoi donc est-on tellement attaché à trouver ce qu’on a déjà vu ? Les Joshua Trees sont un mélange de palmier et de cactus, un peu comme une voiture hybride mais toute dévouée à évoluer dans un climat austère. C’est la crise pour tout le monde. Comment ils faisaient les Indiens, et les chercheurs d’or bien plus tard, pour vivre ici ? La Parisienne en 4x4 reste pantoise.

Deux heures plus tard je sors du parc et paye ma PAF du spectacle naturel. Poursuivre ou s’en tenir là ? Si je trouve un motel je m’arrête ici. Au premier feu de Joshua Tree – ville, je vois le panneau du High Desert Motel et tente ma chance. La chambre est à $55 plus taxes. Vous savez s’il y a d’autres motels dans le coin ? Tiens il m’en reste une à $55 taxes comprises. D’accord. No big deal, c’est pour le principe. En sortant du office je vois qu’il y a un autre motel de l’autre côté de la route, tant pis. La 108 est bien trop classieuse pour mes standards, elle sent le propre, offre un frigo ET un micro-ondes, la salle de bains s’étale sur 10m2. Je m’installe à la table de pique-nique sur le parking. Arrivent deux jeunes couples, ont-ils vraiment l’âge de fréquenter les motels ? A mesure que la nuit tombe les touristes déboulent. Comme l’expliquait le gars du office, la crise n’affecte pas vraiment Joshua Tree. Une baisse de 15% à peine, les Norvégiens cramés continuent de débarquer avec leurs enfants. Lui a passé son enfance en Angleterre, mais retournerait bien en Europe en tant qu’adulte. Ni une ni deux voilà que débarquent deux Néerlandais, puis une compagnie d’Italiens au débit interminable.

J’abandonne ma table de pique-nique pour profiter de l’éclairage au-dessus de la piscine enclôturée. A peine installée les Ritals en font de même. De l’autre côté du parking, un JESUS luit dans la nuit, indiquant le chemin aux fidèles dominicaux. Pour la première fois depuis le 24 juillet je mets un pull. A 20h45, seuls les phares des voitures se chassant sur l’autoroute rappellent que la civilisation existe encore. La mienne continue de détonner par sa saleté, les gens n’ont que ça à faire que de laver les leurs ? Le gérant du motel passe par là, lui aussi à une amie écrivaine ; good luck honey, I'll look you up. Une dernière bagnole fait son entrée, son conducteur mettra longtemps à éteindre le moteur.