dimanche 2 août 2009

Dimanche 2 août

Double Negative

La situation est la suivante. Après moult réflexion, nous avons décidé de descendre à Las Vegas avec Marco. De là il prendra un vol pour Boston demain et moi je garde la voiture de location que je ramènerai à Denver vers le 10 août. J’y prendrai un vol pour SF, je passerai quelques jours en ville avant de m’envoler pour Paris le 14 comme prévu. Aujourd’hui sera donc notre dernier jour ensemble sur la route. Je suis bien contente que Marco soit avec moi parce que l’installation que nous allons visiter me fait un peu flipper, les conditions risquent d’être extrêmes…

Il fallait qu’on se lève tôt alors je me réveille à 6h50 sans alarme. Douche rapide, check-out et Starbucks dans le Casino où les survivants de la nuit actionnent mollement le bras des machines à sou. Il ne fait que 30° lorsque nous quittons la 15 pour entrer dans Overton. Le panneau à l’entrée du bled ne fait aucune mention de la Mesa que nous cherchons mais j’avais imprimé les indications routières avant de quitter Paris. Alors on conduit sur une piste poussiéreuse au milieu de nulle part, grimpons le plateau, tournons à gauche sur une piste encore moins fréquentée, poursuivons un kilomètre et demi puis garons la voiture. Nous sommes au bord d’un précipice qui descend vers une vallée au fond de laquelle ondule une rivière. Mais dans la centaine de mètres qui nous en sépare, le sol s’ouvre sur une tranchée d’une dizaine de mètres de profondeur et une trentaine de long. C’est une des tranchées de Double Negative, Le Site de Land Art autour duquel tout ce voyage s’était originellement organisé.

Comment décrire Double Negative ? Elle se compose de deux tranchées qui se font face, parallèles au précipice, avec un vide au milieu. Du début d’une tranchée jusqu’au fond de l’autre, il doit y avoir 500 mètres. Pour les creuser, entre 1969 et 1970, Michael Heizer a fait déblayer 200.000 tonnes de terre. Autrement dit, c’est gigantesque.
On descend dans la première tranchée, un dénivelé de plus de 10 mètres. Les parois sont pour la plupart encore en bon état, dans le sens de pas effondrées par l’érosion. Au fond de la tranchée le sol sablonneux est plat. On marche jusqu’à la fin de la tranchée qui s’ouvre sur le vide, qui à son tour descend vers la rivière. Et de l’autre côté de ce vide commence la seconde tranchée. Mais pour y accéder, il faut remonter sur le haut de la Mesa et faire le tour à pied (ou en voiture). De l’autre côté nous descendons dans la seconde tranchée, plus petite celle-là et en moins bon état.

Nous revenons à la voiture une heure plus tard. La température s’approche désormais des 40°. Malgré le petit vent qui souffle sur le plateau la chaleur devient peu à peu contraignante, mes mains tremblent et on est essoufflé au moindre effort. Pendant la prochaine demi-heure, passée dans la voiture, portières ouvertes, à réfléchir et à prendre des notes, le thermomètre monte à 45° et la peau commence à brûler. Pas un arbre à l’horizon, pas une once d’ombre pour se protéger. Le malaise n’est pas loin quand on entreprend une autre piste pour retrouver l’autoroute, piste qui s’avérera mauvaise d’ailleurs, je comate à moitié pendant que Marco s’amuse à déraper dans le sable. Deux petites heures plus tard nous entrons dans Las Vegas, mangeons des sushis ( !), faisons un tour à Target qui est ma grande surface préférée, puis allons chez Guy qui vit dans un appartement splendide au 10ème étage avec une vue imprenable sur la ville de toutes les débauches.

Que dire de Double Negative… D’abord une grande surprise parce que ce site ne correspondait pas à ce que j’en avais compris par les descriptions lues et les photos visionnées avant de venir. J’ai maintenant une réponse à la question du pourquoi une œuvre mérite d’être vue de ses propres yeux. Déjà pour la comprendre, cognitivement. Ensuite pour la vivre, l’expérimenter physiquement avec tous ses sens. Parce que Double Negative doit se Vivre. Sa taille est impressionnante et le travail nécessaire à sa réalisation mérite tout respect. Ses formes angulaires, tranchantes, tous ses angles droits s’opposent à merveille avec les courbes naturelles qui l’entourent. La rivière qui serpente en bas dans la vallée est Douceur, alors que les parois droites des excavations sont Tranchantes. La terre creusée est jaune beige, alors que la vallée est verte et vivante avec ses arbres et herbes folles. Ces deux tranchées aux angles droits résultent de la main de l’homme, mais tendent peu à peu à s’harmoniser avec la nature alentour à cause de l’érosion et de l’eau qui les reforment suite aux pluies saisonnières. C’est une œuvre qui vit sa vie, évolue au-delà de la volonté de son auteur. L’expérience que nous en faisons est beaucoup plus directe et basique que tout ce que j’ai pu lire dessus. Je comprends bien l’intérêt des nombreuses pages écrites dessus, sur le sens de la double négation que représentent ces deux tranchées autour d’un précipice, sur la réflexion sur ce qui a été et ce qui est, blabla. Mais quand on est face à cette création, le ressenti est bien plus simple : on est fasciné par son énormité, par sa solitude, par son invisibilité. Parce qu’elle n’est perceptible que quand on est juste au-dessus ou dedans. Encore une fois se pose la question du sens de l’œuvre en tant qu’objet extérieur ou en tant qu’objet expérimenté de l’intérieur. J’ai eu du mal à quitter le site, j’avais pas envie de la laisser, suis même redescendue de voiture pour refaire quelques photos. J’avais senti ce même attachement, sorte d’affect, à Sun Tunnels et à Spiral Jetty. Bizarre. Restent les photos pour se remémorer les sensations ressenties sur place.

Atterrir à Las Vegas après une telle expérience paraît de ce fait d’autant plus dingue. Tant d’urbanisme, tellement de voitures. Sans parler des souvenirs incroyables du 11 août 2007 où Elvis nous avait mariés, Jef et moi. Marco, Guy et un ami à lui jouent aux dominos en buvant du vin blanc. Je suis installée sur la terrasse surplombant le désert, la chaleur qui m’entoure est semblable à celle dans un sauna, pour de vrai. Etouffante et sèche. Au loin, les montagnes virent au rose dans le soleil déclinant. On est bien.

3 commentaires:

  1. et qu'est-ce que tu vas voir? D'autres Land Arts? j'aimerais être là.

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  2. Je découvre Land Art, une quantité jusqu'à maintenant inconnu pour moi. Merci Magdalena pour nous instruire, à côté des sentiers battus.
    Sigvard Le Bon

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  3. C'est par commentaire donc que je "sign off" de ce periple inoubliable. Merci Magda pour m'avoir choisi comme conducteur, et surtout ne lave pas la voiture avant de la rendre!
    Le retour fut du genre brutal: on ne passe pas indemne de la chaleur picante et abrasive du desert a l'humidite' collante et veloutee de Boston la feutree. Et par voie de Las Vegas la coquichonne qui plus est.
    Mais c'est bientot reparti, pour des rencontres du style un peu plus agricole, ca risque d'etre drole.
    Quant a toi Magda, meme si tu ne pourras pas prendre 200 photos par jour ET conduire en meme temps, n'en soit pas frustree et enjoy the ride.
    il Fratellone,
    m.

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