La situation est la suivante. Après moult réflexion, nous avons décidé de descendre à Las Vegas avec Marco. De là il prendra un vol pour Boston demain et moi je garde la voiture de location que je ramènerai à Denver vers le 10 août. J’y prendrai un vol pour SF, je passerai quelques jours en ville avant de m’envoler pour Paris le 14 comme prévu. Aujourd’hui sera donc notre dernier jour ensemble sur la route. Je suis bien contente que Marco soit avec moi parce que l’installation que nous allons visiter me fait un peu flipper, les conditions risquent d’être extrêmes…
Il fallait qu’on se lève tôt alors je me réveille à 6h50 sans alarme. Douche rapide, check-out et Starbucks dans le Casino où les survivants de la nuit actionnent mollement le bras des machines à sou. Il ne fait que 30° lorsque nous quittons la 15 pour entrer dans Overton. Le panneau à l’entrée du bled ne fait aucune mention de la Mesa que nous cherchons mais j’avais imprimé les indications routières avant de quitter Paris. Alors on conduit sur une piste poussiéreuse au milieu de nulle part, grimpons le plateau, tournons à gauche sur une piste encore moins fréquentée, poursuivons un kilomètre et demi puis garons la voiture.
Comment décrire Double Negative ? Elle se compose de deux tranchées qui se font face, parallèles au précipice, avec un vide au milieu. Du début d’une tranchée jusqu’au fond de l’autre, il doit y avoir 500 mètres. Pour les creuser, entre 1969 et 1970, Michael Heizer a fait déblayer 200.000 tonnes de terre. Autrement dit, c’est gigantesque.
Nous revenons à la voiture une heure plus tard. La température s’approche désormais des 40°. Malgré le petit vent qui souffle sur le plateau la chaleur devient peu à peu contraignante, mes mains tremblent et on est essoufflé au moindre effort. Pendant la prochaine demi-heure, passée dans la voiture, portières ouvertes, à réfléchir et à prendre des notes, le thermomètre monte à 45° et la peau commence à brûler. Pas un arbre à l’horizon, pas une once d’ombre pour se protéger. Le malaise n’est pas loin quand on entreprend une autre piste pour retrouver l’autoroute, piste qui s’avérera mauvaise d’ailleurs, je comate à moitié pendant que Marco s’amuse à déraper dans le sable. Deux petites heures plus tard nous entrons dans Las Vegas, mangeons des sushis ( !), faisons un tour à Target qui est ma grande surface préférée, puis allons chez Guy qui vit dans un appartement splendide au 10ème étage avec une vue imprenable sur la ville de toutes les débauches.
Que dire de Double Negative… D’abord une grande surprise parce que ce site ne correspondait pas à ce que j’en avais compris par les descriptions lues et les photos visionnées avant de venir. J’ai maintenant une réponse à la question du pourquoi une œuvre mérite d’être vue de ses propres yeux. Déjà pour la comprendre, cognitivement. Ensuite pour la vivre, l’expérimenter physiquement avec tous ses sens. Parce que Double Negative doit se Vivre. Sa taille est impressionnante et le travail nécessaire à sa réalisation mérite tout respect. Ses formes angulaires, tranchantes, tous ses angles droits s’opposent à merveille avec les courbes naturelles qui l’entourent. La rivière qui serpente en bas dans la vallée est Douceur, alors que les parois droites des excavations sont Tranchantes. La terre creusée est jaune beige, alors que la vallée est verte et vivante avec ses arbres et herbes folles. Ces deux tranchées aux angles droits résultent de la main de l’homme, mais tendent peu à peu à s’harmoniser avec la nature alentour à cause de l’érosion et de l’eau qui les reforment suite aux pluies saisonnières. C’est une œuvre qui vit sa vie, évolue au-delà de la volonté de son auteur. L’expérience que nous en faisons est beaucoup plus directe et basique que tout ce que j’ai pu lire dessus. Je comprends bien l’intérêt des nombreuses pages écrites dessus, sur le sens de la double négation que représentent ces deux tranchées autour d’un précipice, sur la réflexion sur ce qui a été et ce qui est, blabla. Mais quand on est face à cette création, le ressenti est bien plus simple : on est fasciné par son énormité, par sa solitude, par son invisibilité. Parce qu’elle n’est perceptible que quand on est juste au-dessus ou dedans. Encore une fois se pose la question du sens de l’œuvre en tant qu’objet extérieur ou en tant qu’objet expérimenté de l’intérieur. J’ai eu du mal à quitter le site, j’avais pas envie de la laisser, suis même redescendue de voiture pour refaire quelques photos. J’avais senti ce même attachement, sorte d’affect, à Sun Tunnels et à Spiral Jetty. Bizarre. Restent les photos pour se remémorer les sensations ressenties sur place.
et qu'est-ce que tu vas voir? D'autres Land Arts? j'aimerais être là.
RépondreSupprimerJe découvre Land Art, une quantité jusqu'à maintenant inconnu pour moi. Merci Magdalena pour nous instruire, à côté des sentiers battus.
RépondreSupprimerSigvard Le Bon
C'est par commentaire donc que je "sign off" de ce periple inoubliable. Merci Magda pour m'avoir choisi comme conducteur, et surtout ne lave pas la voiture avant de la rendre!
RépondreSupprimerLe retour fut du genre brutal: on ne passe pas indemne de la chaleur picante et abrasive du desert a l'humidite' collante et veloutee de Boston la feutree. Et par voie de Las Vegas la coquichonne qui plus est.
Mais c'est bientot reparti, pour des rencontres du style un peu plus agricole, ca risque d'etre drole.
Quant a toi Magda, meme si tu ne pourras pas prendre 200 photos par jour ET conduire en meme temps, n'en soit pas frustree et enjoy the ride.
il Fratellone,
m.