vendredi 31 juillet 2009

Vendredi 31 juillet

Spiral Jetty

Le réveil sonne à 8h30, mais je ne dors plus depuis une heure déjà. Petit-déj dans le restau 24/24 du Casino, des vieux sont déjà installés aux machines à sou. On reprend la 80 vers l’est, dépassons Bonneville Speedway et voyons se dessiner un truc de l’autre côté de l’autoroute.

Une construction en forme d’arbre de 26 mètres de haut, intitulé « Metaphor : The Tree of Utah » ou encore « The Tree of Life », conçu par un artiste suédois du nom de Karl Momen entre 1982-86. Il l’a financé lui-même, go figure. Nous roulons sur une route toute droite pendant une heure. Une heure sans aucun virage, ça fait bizarre. Mais attention, la 80 finit par tourner un peu vers la gauche, puis un peu vers la droite et voilà que Salt Lake City se dessine au pied d’une montagne bleue. On contourne le Lac par l’est et montons par la 15 jusqu’à Tremonton. Arrêt salade plastique dans un Mc Do des familles avec beaucoup d’enfants en bas âge. Il n’est que 13h et nous pensons avoir la journée devant nous.

Alors on continue tranquillement sur une petite route entre les collines et les prés desséchés pour nous rapprocher des rivages du Lac. A hauteur de la cahute de Promontory un panneau discret indique un chemin de graviers. Avec notre grosse 4x4 on n’a pas peur et roulons vite dans la poussière, mais quelques dizaines de kilomètres plus tard ça se gâte. Nids de poule, blocs de pierre et carrément trous dans la piste nous obligent à ralentir. On perçoit enfin l’eau, mais on en est encore loin. La conduite finit par devenir agaçante, quand est-ce qu’on arrive ? Quelques virages plus loin on voit la jetée industrielle dont on nous avait parlé. Et deux collines après on le voit enfin : Spiral Jetty, cette jetée en pierres noires construite par Robert Smithson en 1970.

On gare la voiture, vissons nos casquettes sur la tête et descendons au bord de l’eau. Enfin, sur la bande de terre salée laissée à nu par le Lac qui s’évapore peu à peu. Spiral Jetty est donc une jetée en forme de spirale qui s’étend dans le Lac sur une trentaine de mètres. Avec nos tongs on a du mal à marcher sur les pierres irrégulières alors on les enlève pour avancer pieds nus sur le sel humide. Drôle de sensation ; on dirait de la neige, mais c’est chaud. La croute craque sous notre poids, un peu comme quand on tape une cuillère sur une crème brûlée qui sort du four. Derrière le Jetty commence le Lac, l’eau est étonnement chaude. Ici il vaut mieux se rechausser, le sel est tranchant comme des débris de verre. Au bout de quelques minutes l’eau salée commence à piquer la peau, faut vite en sortir. Sur le bord du rivage les vaguelettes forment une mousse blanche, comme des œufs montés en neige. Le reflet rosé de l’eau vient des sédiments qui la remplissent, elle est pleine de micro bestioles.

Les premières sensations se dissipent pour laisser place à la réflexion. De retour sur le Jetty, je m’interroge sur l’envie ressentie en arrivant sur le site de ne pas monter dessus mais de marcher à travers. Pourtant la spirale ne fait que quelques dizaines de centimètres de hauteur, la taille des pierres qui la composent. Et nous ne sommes visiblement pas les seuls à avoir voulu la contourner, à être passés au travers ; le sol salé humide est empreint de traces de semelles. Cette installation est typique des œuvres de Land Art : plus on s’en approche, moins on les perçoit. On a envie de rentrer dedans, mais ce faisant on y devient aveugle. Pour bien les évaluer il faut donc s’en éloigner. Au moins Spiral Jetty, comme Sun Tunnels l’autre jour, peuvent être embrassés du regard. Ce ne sera pas le cas avec le troisième, Double Negative au nord de Las Vegas.

Notre impression du Jetty est mitigée. Pour Marco, c’est le site qui l’a le moins impressionné sur le coup. Pour ma part, j’ai été un peu déçue par sa taille, bien moindre que ce que j’avais imaginé, mais je l’ai trouvée « mignonne », tout ce noir solitaire au milieu d’une étendue de blanc rosé. Si cette œuvre rend mieux en photo qu’en vrai, il n'en reste pas moins que le contexte dans lequel elle se dessine est fascinant. On se croirait au pôle Nord, la chaleur en moins, les croutes de sel ressemblant à des bouts de banquise. Mais Spiral Jetty a une valeur ajoutée malgré elle ; à sa construction, les pierres composant la Spirale étaient blanches, car recouvertes de sel et sortant à peine de l’eau, comme nous avons pu le voir sur une vieille photo aérienne. Avec le retrait des eaux du Lac elle a donc carrément changé d’aspect, ce qui met bien en valeur la dimension évolutive du Land Art. A la différence de Sun Tunnels par exemple, qui ne risque pas de changer de si tôt. Reste qu’on aura été moins foudroyés aujourd’hui qu’hier à Bonneville. Sans parler de la première nuit au Rainbow et de la rencontre avec Bill le paradoxal.

On remonte en voiture une heure plus tard. Il fait très chaud. Nos pieds et mollets sont recouverts de sel séché, ça pique et ça gratte. Sur le chemin du retour on s’arrête à la cahute de Promontory et découvrons la valeur historique de Gold Spike. C’est ici que fut posé le dernier rivet du chemin de fer transcontinental en 1869. A l’époque Promontory était un hub et une ville était construite autour de la gare. Il n’en reste plus rien. Le musée minuscule est fermé mais on contourne le grillage pour regarder la fameuse traverse en bois reliant les deux côtes des Etats-Unis. Elle a l’air bien neuve à mes yeux, mais reconnaissons sa valeur symbolique. Un écriteau explique que Promontory s’est fait voler la vedette par une autre ville que nous avons visitée, Lucin à l’entrée du chemin menant à Sun Tunnels, lorsque le chemin de fer a été retracé plus tard. Toujours est-il qu’il ne reste rien de ces deux fameux sites, aucune fondation de maison, pas une trace de route, à peine quelques arbres.

Une petite heure plus tard nous sommes de retour à Tremonton, enregistrons au Sandman Motel puis dînons au Denny’s du coin. A côté du stade, des cowboys s’échauffent en faisant galoper leurs chevaux dans la poussière, ils préparent les courses du vendredi soir. Il est 19h lorsque je m’installe sur le parking devant la chambre pour noter les impressions du jour, le soleil couchant chauffe encore à 35°C. Si l’air est sec, on se sent tout de même humide avec la couche de sel qui nous recouvre. La soirée sera logistique. Felitia, que je devais retrouver en ville demain soir, ne peut malheureusement plus venir pour raisons de santé. Du coup je vais louer une nouvelle voiture, puisque Marco ramène celle-ci à Denver, pour une semaine de roadtrip en solitaire. Je rendrai la voiture à Salt Lake City dans une semaine et prendrai un vol pour San Francisco.

Au-dessus du parking le ciel passe du bleu au rose au jaune. La nana du Office sort arroser les plantes pendant que son petit chien aboie à la lune. Elle nous demande comment on se connaît. Le gars qui regarde la télé dans la cuisine du Motel sort fumer une clope, bière à la main. Il prétend que les bières vendues dans l’Utah sont moins fortes, on est chez les Mormons. Les appareils d’air conditionné ronronnent autour de nous, l’air devient peu à peu respirable.

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