jeudi 30 juillet 2009

Mercredi 29 juillet



Sun Tunnels

Nous voilà dans une ville Casino, à la frontière de l’Utah et du Nevada. Terre de Dieu d’un côté, Terre du Diable de l’autre. West Wendover est du bon côté. On a enregistré au Rainbow Casino, la salle de jeux est inondée de néons bleu et rose, la musique joue en continu, les slot machines sonnent, le cliquetis des jetons ponctue le tout. Marco discute avec un local au comptoir pendant que je me laisse déborder par les sens. Les joueurs sont affalés dans leurs fauteuils et pressent les boutons des machines sans payer de mine, pas de sourires, pas d’éclats de voix. L’air est lourd d’odeurs artificielles, il n’y a pas de fenêtres. Il ne faut surtout pas que les clients gardent conscience de la vie de dehors, ici on est dans une autre dimension. Le gars au comptoir passe le plus clair de sa retraite ici. Do never start gambling, it’s a bad thing. Il a une carte de fidélité et ne paye ni sa chambre ni ses repas. En d’autres termes, c’est un bon client du Rainbow.

Nous sortions du désert de sel vers 19h lorsque nous avons découvert cet oasis. On revenait d’un jeu de piste consistant à trouver le site sur lequel Nancy Holt a installé Sun Tunnels il y a une trentaine d’années. Quatre tuyaux en béton, posés en fonction des points cardinaux, avec de petites ouvertures permettant d’observer les constellations célestes à certaines heures de la nuit et selon les saisons. On avait atteint Sun Tunnels après 2h de conduite sur une route rectiligne à l’infini au milieu de nulle part. L’installation n’est évidemment indiquée sur aucune carte routière, mais nous y avons tout de même rencontré des êtres vivants. Un couple de Néerlandais passionnés de Land Art, qui eux, avaient prévu de bivouaquer sur le site cette nuit. Je me sens un peu touriste Japonaise en n’y passant qu’une seule heure et demie. Et me pose la question du sens « d’aller sur place » ; qu’est-ce que ça apporte à la compréhension d’une œuvre que de la voir soi-même ? Après un temps de réflexion, je pense que c’est la sensation corporelle, sensuelle, d’être face à, et cette fois dedans, qui fait sa valeur ajoutée. Fouler la terre de celle qui a eu l’idée d’orchestrer cette installation un peu n’importe quoi – je veux dire quatre tuyaux de chantier au milieu de nulle part, pourquoi faire ? Et bien ils permettent de regarder le désert autrement, dans le sens où l’embout du tuyau focalise le regard, pour commencer. Ensuite, parce que les quatre tuyaux matérialisent les points cardinaux, ce dont on aurait difficilement conscience s’ils n’avaient été. Enfin, parce que c’est simplement fou de se dire que quelqu’un a pu avoir cette idée in the first place et du coup, l’initiative même de cette entreprise devient sujet de réflexion. L’expérience physique de cette installation se traduit aussi par une sensation de dessèchement aigu, on a la gorge qui brûle et les yeux rougis qui piquent. La chaleur est supportable en cette fin de journée vu le vent qui souffle sur le plateau. Mais c’est plein de sel, l’appareil photo en témoignera.

Le premier signe de civilisation en quittant Sun Tunnels est un bled nommé Montello, à 45 minutes de conduite sur des routes de gravier soulevant des nuages de poussière visibles à des dizaines de kilomètres. On avait prévu d’y prendre une chambre, d’autant qu’elle aurait été à $35, mais l’atmosphère était oppressante. Trop white trash avec ses modular homes en décrépitude, ses pick-up abandonnés et ses habitants au regard incertain. L’expérience du bar à Sundance apparaît soudainement comme de la rigolade par rapport à Montello. Et c’est comme ça qu’on a échoué dans la ville Casino sur la frontière.

Ce matin en revanche c’était une autre histoire. L’air était très frais lorsque nous avons levé le camp à 8h de Jackson. Nous avons petit-déjeuné dans un café macrobiotique proposant une liste interminable de herbal teas et de pancakes au blue corn. La basse pression atmosphérique de ce resort a fait mauvais ménage avec ma propre basse tension, et j’ai passé la matinée dans les montagnes à observer mes pensées qui dérapaient, dès que je cherchais à me concentrer je me sentais glisser vers un néant anarchique. Drôle de sensation que d’être ivre à peine levée. Alors j’ai pas cherché à discuter intelligemment mais me suis laissée conduire par mon chauffeur parfait qui, lui, adore la montagne.

Après trois heures de montagnes et de vallées nous nous sommes arrêtés à Malad City, qui a mérité un grand nombre de photos et l’achat de t-shirts au diner local (Malad Drive In since 1955). Une salade Burger King et un plein d’essence. Puis nous avons continué sur la petite 38 de Holbrook à Stone, environ 50 habitants chacun. A Stone nous avons bifurqué sur la 30 qui nous a mené à Lucin même pas indiqué sur la carte, comme quoi ça sert d’avoir un GPS merci Marco. Lucin est un oasis au milieu de rien, quelques arbres autour d’un plan d’eau, résultant d’inconnus d’il y a un siècle qui avaient établi un arrêt pour le rail road passant par là mais abandonné depuis. Lucin ne porte même plus la trace des maisonnées qui avaient dû l’honorer à l’époque. Ca fait drôle d’y repenser alors que j’ai en face de moi des rangées de slot machines au moment où j’écris ces lignes. Quel saut dans le temps, quelle différence entre formes de civilisation dans un même pays. Parce que, paraît-il, Lucin offrait un abri à des humains il y a encore vingt ans. Unbelievable.

La voix des croupiers se fait plus discrète, mais celle du commentateur sportif télévisé est toujours aussi insistante sur les énormes écrans télé au-dessus de ma table noyée dans l’air conditionnée du Rainbow Casino. Reste le gars qui change l’argent liquide en jetons endiablés juste à côté. Je suis surprise qu’ils me laissent tranquille avec mon ordinateur dans un Casino, d’habitude c’est absolument interdit. Risque de triche oblige. Et aucun accès Internet au Rainbow alors on doit trainer sur les parkings des Motels alentours proposant du wifi.

1 commentaire:

  1. Je savais bien que ca finirait mal. Un italien qui te promet monts et merveilles, qui te decrochera la loune et les etoiles poul les mettle dans tes youx, qui te couvrira d'or et dé bijou...une semaine plus tard on fait les parkings de motels.

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