jeudi 13 août 2009

Jeudi 13 août


Angel Island

Quand je me lève à 8h30 Felitia est déjà partie à l’école et Manuella propose de me déposer down town. Je préfère commencer par une séance dans la salle de gym repérée dans le quartier, suivie d’un sandwich macrobiotique, puis le N jusqu’à down town. Petites habitudes obligent. Arrive aux docks, le bateau part 30 quais plus loin, ok, longue file d’attente pour acheter un ticket, décide de faire l’excursion même si je n’aurai qu’une heure et demie sur place.

Le ferry traverse la baie sous un ciel bleu impeccable, ça vente pas mal. Arrivée à Angel Island, le Ranger explique que j’arrive trop tard pour la visite guidée et pour le shuttle qui aurait pu m’emmener. M’élance donc à pied, les minutes sont comptées. Mais à l’entrée du chemin 200 mètres plus loin un écriteau rappelle qu’il fallait acheter les tickets plus bas alors je reviens en arrière. N’étant pas seule à avoir relevé le défi, je rattrape un père, sa fille et son copain sur le chemin. Lui est un ancien State Trooper du Texas qui a décidé de refaire une carrière maintenant qu’il est à la retraite alors il est devenu prof de physique. On discute élèves à problèmes. Vingt minutes plus tard et en nage, on atteint notre objectif : The Immigration Station. Je demande à une Ranger si je peux rejoindre la visite guidée à la mi-temps, pas de problèmes, je la suis à travers les pièces racontant l’histoire des migrants d’Asie de la première moitié du siècle, ne peux m’empêcher de lui poser des questions alors elle finit par me faire une visite privée.

Angel Island fait d’abord penser à Ellis Island, île de transit pour les migrants Européens lorsqu’ils arrivaient à Manhattan. Sauf que Angel Island n’a vu passer qu’un million de passagers, un rien comparé aux 12 millions de la côte est. Ce qui s’explique d’une part par le fait que les Chinois, les plus nombreux à vouloir émigrer, en étaient interdits par la Chinese Exclusion Act. Un des nombreux chapitres ambigus de l’histoire du pays. D’autre part, on n’y faisait transiter que ceux dont les papiers n’étaient pas en règle ou présentaient « un problème », personne de mauvaises mœurs, délinquant ou autre forme de terrorisme potentiel. Les murs des baraquements sont couverts d’inscriptions gravés au couteau, maintes fois repassées à la peinture.
Les conservateurs du musée en ont décodé plus d’une centaine. Bon nombre sont des poèmes, d’autres des témoignages de la vie quotidienne et des difficultés rencontrées, d’autres enfin de simples signatures en mandarin, japonais, thaï, hindou, russe. Le centre d’immigration ferme en 1940 pour devenir un haut lieu militaire préparant les interventions dans le Pacifique, puis un centre de rétention de prisonniers de guerre. D’où également quelques commentaires en allemand. Türe Zu !

Ne pouvant me permettre de louper le dernier ferry, je repars vers l’embarcadère au pas de course sous un soleil de plomb. La vue sur la baie est magnifique, l’eau turquoise bordée de palmiers, des voiliers ça et là. Couleur locale, je discute avec les autres passagers. Vous venez d’où, ah oui, et vous êtes en ville pour combien de temps ? On nous fait débarquer au premier arrêt, on repart dans dix minutes. Entre temps un problème mécanique fait apparition, dont on n’est informé que quarante minutes plus tard, à peine agacée je prends un tram. Suis maintenant comme un poisson dans l’eau avec les transports publics et partage le trajet des costards-cravates.
Arrive en bas de California Street, en refais une trentième photo. Papote avec le conducteur du tramway vu tant de fois au cinéma, descends sous terre prendre le N qui me ramène à Golden Gate Heights. Felitia revient de l’école, fatiguée des réunions de rentrée interminables. Faut croire que les déformations et lassitudes professionnelles sont transculturelles.

Alors que la journée avait commencé dans un nuage, le ciel est resté bleu vif depuis midi. Demain lever à 5h pour un premier avion, puis un second à Charlotte, pour arriver, si je ne loupe pas la correspondance, à Paris samedi 15 août à 6h40. Je garderai un bon souvenir de San Francisco. Sans parler de l’émotion ressenti sur les sites visités, le long des paysages parcourus et au contact des gens rencontrés pendant ces trois semaines on the road.

Mercredi 12 août




Alcatraz

«Break the rules and you go to prison. Break the prison rules and you go to Alcatraz» (Anonyme)

Réveil à 9h suivi d’un jogging dans le parc. Toujours mal aux pieds. Déjeuner macrobiotique sur la 9ème avenue, tramway N (« N as in Not and Never » – il arrive pas souvent). Descends tout en bas de Market à l’entrée du port, marche jusqu’au Pier 39. J’ai eu la chance de trouver un ticket en ligne, merci Felitia, il faut normalement les réserver une semaine à l’avance en saison haute. Attends dans l’enclos à bétail que notre ferry soit prêt à partir, monte sur le pont supérieur, la traversée ne dure que 15 minutes. En descendant du ferry on est invité à écouter les instructions dispensées par une Ranger à peine sortie du lycée. Interdiction de manger et de fumer sur l’île, seules les bouteilles d’eau sont autorisées. Le dernier bateau repart à 18h10, ne pas le louper. Oui mon Général. On n’est pas à Alcatraz pour rien.



Commence par regarder la vidéo résumant l’histoire de l’île, qui ne se limite pas qu’aux prisonniers et tentatives d’escapade. Gravis la colline et pénètre dans The Rock. Des employés habillés mi-Ranger, mi-gardien distribuent des casques audio. S’avancer jusqu’au premier panneau, allumer la console, ne pas déconner. C’est parti. Le tour guidé individuel est hy-per-bien-fait. Vraiment. Les témoignages de réels anciens gardiens et d’authentiques ex-détenus sont baignés dans un fond sonore plus que réaliste ; crachats, hurlements, coulissement de grilles, exclamations, poignardages, on s’y croirait.
Certaines cellules présentent des objets personnels très touchants, peintures, pipes, jeux d’échec, tricotages ( !), instruments de musique. Chacun ayant démarré son tour individuel séparément, les visiteurs se croisent et se recroisent à différents moments de l’histoire contée. C’est un joyeux bordel mais qui reste fluide. Et pas moyen de savoir en regardant le visage des autres ce qui va se passer ensuite. Les trois cellules des rares détenus ayant réussi à s’évader, ici grâce à la force de cuillères pour percer le mur et au savon pour fabriquer des têtes de mannequin, me touchent particulièrement. Ils ont donc réussi à s’échapper de la prison réputée la plus sûre du monde en son temps. Respect. Grand respect. Comme leurs corps n’ont jamais été retrouvés, la version officielle en déduit qu’ils ont dû se noyer. Mais non les gars, ils se la sont coulée douce dans un n’importe quel pays d’Amérique Latine ! Pourquoi ne pas reconnaître l’infaillibilité du système ? Note pour plus tard.


Entre phantasmes et réalités, paraît que la vie à Alcatraz aurait été un tout petit peu moins horrible que le veut la légende. Enfin, c’est ce que raconte la version enregistrée. Les repas n’étaient pas si mauvais, et les requins qui infestent la baie de San Francisco ne sont pas mangeurs d’hommes. N’empêche que la température de l’eau et les courants restent une réalité. Quant aux familles de gardiens qui vivaient là, elles étaient plutôt très contentes ; elles ont introduit nombre de plantes, les enfants jouaient en plein air, bénéficiaient d’une vue splendide et laissaient toujours leurs portes ouvertes. Femmes et enfants n’avaient aucun contact avec les détenus. Qui eux par contre pourrissaient dans leurs cellules infâmes en entendant parfois des rires s’échapper des nombreux bars et bordels de la rive non loin. “These five words seem written in fire on the walls of my cell: nothing can be worth this” George -Machine Gun- Kelly, inmate n°117. Mais la version officielle a préféré souligner les mots d’un autre ancien détenu expliquant que son expérience d’Alcatraz en a fait un homme meilleur. Formidable. Il devait avoir bénéficié d’une éducation, ou s’était peut-être converti en prison. Je suis injuste car probablement trop baignée par la culture romantique des loubards cinématographiques. Qu’est-ce qu’on en sait au final de ce qui s’est réellement passé sur The Rock ? Pas grand-chose, à part les films de Hollywood et le audio-tour officiel.

Attrape l’avant-dernier bateau pour San Francisco, retrouve Manuella à son bureau qui m’embarque sur son scooter pour un dîner en tête-à-tête à Castro, le quartier gay. Quel changement d’ambiance, et quel plaisir de voir se balader main dans la main des vieux aux cheveux grisonnants, des Teddy Bears piercés et sur-musclés, des obèses tatouées sur les avenues encadrées de drapeaux arc-en-ciel. On dîne à Harvey’s, le bar en hommage au politicien du même nom, en discutant des droits des homosexuel(le)s et de ce qu’Obama leur a promis et fait, ou pas.

Merci Hollywood pour nous avoir fait connaître tout ça, pour le meilleur et pour le pire.

mardi 11 août 2009

Mardi 11 août


Haight Ashbury

Réveillée à 9h pile. Manuella endosse ses baskets en expliquant qu’elle part au travail. C’est bon de voir des avocats non-costumés. Felitia prépare la rentrée des classes et moi je traîne. Descends finalement vers le Golden Gate Park pour un jogging, ça change des Buttes Chaumont. Un peu plus grand, un peu plus de SDF, un peu plus de jardins botaniques magnifiques. Incertitude quant à la tenue la plus appropriée au climat changeant, je sors avec un pull qui s’avérera plus qu’utile. Déjeuner dans le diner du quartier, je me sens comme dans une série télévisée.

Longe le parc et bifurque sur Haight Street, l’ancien quartier hippie. Aujourd’hui c’est un attrape-touristes avec ses boutiques de fringues Indiennes et autres encens. Des Allemands avec appareil photo, des mecs-à-clebs, des punks piercés en skate, d’anciens hippies la soixantaine aux cheveux longs grisonnants. Et beaucoup de magasins vintage. Une nana me raconte son histoire de comment elle a fini dans la rue, je savais au moment où je me suis arrêtée que ça finirait par une demande d’argent. Mais son histoire en valait la peine.



Continue sur Fulton jusqu’à Market, jamais vu une telle concentration de SDF. Des anciens aux plus jeunes, tous portent les mêmes stigmates de la rue. Commence à grimper la colline vers China Town, Manuella m’appelle et m’invite à la rejoindre elle et son collègue dans leur bar habituel. Optimiste, je réponds que j’y serai dans 20 minutes. C’est mal connaître San Francisco et ses collines. Elles m’accueillent avec des pintes, le serveur ne sert pas de demis. En semaine le bar est calme, difficile de croire que les clients accoudés au comptoir reviennent en trav le week-end. Dommage, mais je serai déjà repartie. Vers 18h30 on rentre retrouver Felitia, puis allons dîner dans un sushi place deux avenues plus bas. Extinction des feux à 22h, mal aux pieds.

lundi 10 août 2009

Lundi 10 août



Premier jour à SF


Grand ciel bleu ce matin et très chaud, rare pour la saison paraît-il. Manuella m'emmène faire un tour. On traverse le Golden Gate Bridge pour un déjeuner sur pilotis à Tiburon. C'est bon de manger autre chose que des BLT et des salades plastique. Je découvre les quartiers un à un, ainsi que California Street que je ne connaissais que sur la grande photo qui décore notre cuisine bellevilloise. Manuella est un excellent guide, précise et efficace, SF une belle ville avec ses maisonnées de toutes les couleurs. Y a des gens qui se déplacent à pied, certains promènent même des chiens en laisse, j'avais oublié.







L'après-midi le fameux fog fait son entrée, on perd immédiatement 5°C. Ce soir une amie de Felitia est venue nous préparer du fried chicken en direct. Les piqûres sur les poignets se sont calmées, le côté gauche de mon visage reste déformé.

Dimanche 9 août



Sequoia Park

Je me réveille couverte de piqûres d’un insecte non identifié. Balance mes affaires dans la voiture, dis rapidement au revoir au voisin en ne laissant aucune chance à une conversation interminable, m’élance vers le Wal-Mart pour acheter une crème «stop-itch». Qui n’a aucun effet. Faut que je me retienne de gratter, ça risque de mal finir. Monte la 65 jusqu’à ce que les panneaux disent de tourner à droite. Avant d’entrer dans le parc, je marque un arrêt petit-déj dans une maison en bois aux énormes ventilos. Remets de l’essence au cas où. La connexion Internet du motel ayant crashé hier soir, je cherche un wifi spot et en trouve un au Visitor Center de Lemoncove. Je passe le péage de Sequoia Park sur les coups de 13h30, $20, la file de voitures est déjà longue et moi de mauvais poil.

La mini route ondule dans les montagnes, j’aime pas les virages en épingle. On grimpe 1500 mètres en une vingtaine de minutes, l’air devient plus léger, je me souviens du désagrément ressenti à Yellowstone. Sauf que maintenant je suis seule à assurer la conduite. D’un paysage sec et brûlé on entre peu à peu dans la forêt, les pins qui bordent la route sont de plus en plus grands. Et voilà que j’aperçois mon premier Sequoia, incroyable, on en voit même pas la couronne. Me gare à l’entrée de Giant Forest et entame le petit trail autour d’un marécage. La mauvaise humeur laisse place à la fascination devant ces arbres sans fin d’un autre âge. Comme pour les cactus géants d’Arizona, je me demande ce qui a pris à la Nature d’inventer un truc pareil. On est baigné dans des senteurs pour moi inconnues jusque-là. L’air est doux, l’écorce dégage une odeur fine caressant les narines. Je m’en souviendrai. Mais la civilisation se fait vite rappeler par une bande d’Italiens en mode mitraillette aigüe. En accélérant le pas pour m’en défaire, une femme vient vers moi pour me prévenir que des ours noirs ont été repérés à proximité de la piste. Bonne citoyenne, je préviens à mon tour les Ritals qui montent d’une octave. Serait-ce une simple rumeur urbaine pour ajouter un peu de piment ? Non, je verrai effectivement un ourson gambader entre les arbres et faire ses griffes sur un Sequoia. Reviens sur le parking en gardant un œil sur la forêt, pas très à l’aise.



Remonte en voiture et roule jusqu’à l’attraction principale. Le parking construit sur quatre terrasses déverse un flux continu de visiteurs, beaucoup de familles, pas mal de Français. Le chemin pavé qui mène au General Sherman Tree fait à peine un kilomètre mais descend sur près de cent mètres. J’entends aux remarques des enfants traînant les pieds que le plus grand arbre du monde n’est pas loin, alors c’est lequel, c’est celui-là ?. Le Sequoia en question fait 84m de haut et comptabilise près de 1000 ans. Comme il est mort, il ne grandit plus qu’en circonférence. Il vaut le détour, mais les hordes de touristes altèrent quelque peu l’expérience. La mauvaise humeur revient, je remonte la pente au pas de course malgré les panneaux rappelant qu’il faut y aller mollo à cause de l’altitude, termine le tour du parc d'une traite. Ressors par la 180 West et continue jusqu’à Fresno où je déjeune d’une salade plastique. Les Mc Do sont un bon indicateur socioéconomique du quartier, voire de la ville dans laquelle il se trouve. Celui de Fresno laisse deviner des conditions de vie difficiles. Achète un Red Bull dans le Liquor Store d’à côté, les vieux Mexicains qui traînent sur le parking ressemblent à des Hobos. Je quitte cette ville agricole à 17h30, j’en ai encore pour trois heures jusqu’à San Francisco. Appelle rapidement Felitia, rendez-vous à l’aéroport où elle vient chercher sa sœur qui revient de DC.

A la sortie de Fresno je crois voir un panneau indiquant SF, quitte l’autoroute pour m’enfoncer dans des champs à perte de vue. A Los Banos, bien plus tard, les rectangles verts me réconfortent, je suis sur la bonne route. Tourne à droite sur la 5, les voitures et poids lourds sont nombreux en ce dimanche soir. Je vais être à court d’essence mais ne vois aucune station service. Ce serait dommage de terminer le voyage par une panne sèche. Sauvée par le gong à Patterson à l’approche de 20h. En repartant je réalise que la nuit est sur le point de tomber, et moi qui ne conduis jamais de nuit à cause de ma mauvaise vision. Comme pour la conduite en altitude, je sais que j’ai pas le choix alors je serre les dents. Le soleil se couche effectivement, les champs d’éoliennes géantes se dessinent devant le ciel rose criant, c’est magnifique mais j’ai pas droit à l’erreur en essayant de les photographier. C’est déjà assez compliqué de suivre les marquages blancs au sol, mon seul repère. Le rose laisse place au noir, on s’approche des agglomérations, je fixe le serpent de phares rouges, les piqûres sur mes bras et poignées se réveillent, j’allume la radio puis l’éteins, mets l’air conditionné puis l’arrête, pourvu que j’arrive bientôt. Les sorties d’autoroute sont de plus en plus nombreuses, c’est laquelle qu’elle m’avait dit déjà Felitia, si je me trompe ça va être un enfer pour s’y retrouver, ne pas gratter, mes mains sont endolories, va falloir se mettre sur la file de gauche, j’y vois rien dans le rétroviseur avec tous ces phares, ça y est je me suis plantée. Rester confiante, me répète que je conduis dans le noir depuis une heure et que c’est donc possible. Felitia m’avait parlé d’un pont, en voilà un et de l’autre côté y a la 101 que je devais prendre vers le sud. Incroyable, j’ai réussi à y remettre de l’ordre. Mais 20 minutes plus tard je ne vois toujours pas d’indications vers l’aéroport alors je la rappelle. Euhm non, ça fait longtemps que tu aurais dû tourner, ok, reviens en arrière, l’essence va encore manquer mais j’ai pas envie d’en remettre. Le temps me paraît une éternité, ça va se jouer à peu de chose près. San Francisco International Airport se dessine enfin, je trouve le rental car drop-off, désolé le gars qui fait les retours vient de partir. … Ah non regardez, il est encore là, tu peux l’enregistrer ?

J’arrête le moteur et respire profondément. Ca y est c’est bon, mais mes avant-bras sont rouges et gonflés. Je ramasse mes affaires, plus de deux semaines dans cette caisse sont longues à récupérer. Rends les clés, traîne mes sacs jusqu’au Terminal A, m’assois sur le trottoir pour fumer une clope. Un quart d’heure plus tard Felitia arrive, puis Manuella, il est 23h30. On rentre dans San Francisco, buvons une bière dans la cuisine, parlons des sites que j’ai visités. Pas le courage de défaire le canapé-lit alors je m’effondre par terre sur des coussins.

Du mal à croire que le roadtrip soit déjà terminé. Il me reste quatre jours pour découvrir San Francisco avant de revenir à Paris le 15 août au petit matin.

dimanche 9 août 2009

Samedi 8 août


Bagdad Café

Un mal fou à me réveiller et comme je ne sais pas dans quelle time zone je suis, je ne sais pas non plus si on va me mettre dehors tout de suite ou dans une heure. Dans le doute je m’active et rends les clés de la 108 quand ma montre indique 10h. A Yucca Valley je remets de l’essence au cas où ; la pompe fait sa maligne et je dois faire sortir le moustachu en chemise hawaïenne au regard ténébreux. Comme je l’ai cassée, il propose de me garder en contrepartie. Voulez pas la caisse plutôt ?

Je monte par la 247, un espace laissé tout blanc sur la carte. Il n’y a effectivement pas grand-chose. Mais c’est beau, des collines marron, de la poussière, quelques trailers parqués ça et là. Quand je me retrouve à Apple Valley je réalise que j’ai dû louper le seul chemin qui partait vers la droite. Reviens en arrière, dans le coltard, j’ai décidemment du mal ce matin. Entame le Red Bull de survie qui fait son effet en quelques minutes. Je me demande ce qui motive les gens à s’installer dans le Mojave Desert ; c’est joli, pas de problèmes de voisinage et le prix des terrains doit être intéressant. J’aperçois d’ailleurs ce qui ressemble à des campements de fortune, peut-être des rejetés d’une grande ville ? Changement d’ambiance à l’approche de Barstow, tout de même honoré d’un petit carré sur la carte, avec sa bretelle d’autoroute et grands magasins.
Je récupère un bout restant de la route 66, direction est, qui se glisse entre la voie ferrée et la 40. Je suis émue à chaque fois que j’emprunte des parcelles de la Mother Road, regarde toujours les environs d’un autre œil en tentant d’imaginer l’état d’esprit dans lequel se trouvaient ceux qui partaient à la conquête moderne de l’Ouest. Quand la nouvelle autoroute n’est pas loin on peut être certain que la 66 sera vide, ce qui permet de conduire plus vite et dans ce cas précis de profiter des « dips » ; ils font l’effet d’un toboggan et des papillons dans le ventre, j’adore.

A Newberry Springs je ralentis. Il n’y a pas grand-chose mais je sais ce que je cherche. Je vois le grand panneau vertical défoncé de loin. M’arrête pour l’admirer, puis m’en rapproche. D’un côté du parking vide, deux caravanes métalliques abandonnées. De l’autre, Bagdad Café, petite maison en bois peinte en rouge. Il est 13h et temps de déjeuner alors je pousse la porte vitrée d’un de ces lieux qui ont marqué notre jeunesse. Le comptoir et les petits boxes sont d’origine, les décorations murales en revanche portent la trace des nombreux visiteurs depuis 20 ans. Mark apporte un menu en précisant que le burger hautement recommandé pour les gastronomes, du coup un peu plus cher, n’est pas sur la carte. Vas-y pour un Buffalo Burger. En mastiquant la semelle je me demande à quoi aurait ressemblé un burger normal. On m’apporte le livre d’or, ça nous ferait plaisir que vous signiez. En feuilletant les pages je me demande s’il ne s’adresse qu’aux touristes français. C’est vrai que 75% de nos clients sont Français. Des quatre tables occupées, une seule est non-francophone. En payant la fille me demande si je ne veux pas être prise en photo derrière le comptoir ? Mark le cuistot ressort de son cagibi, m’entoure solidement de son bras recouvert de graillon, évite d'exposer son sourire édenté à la caméra.
Pourquoi les gens se sont-ils installés dans ces collines ? Parce qu’ils sont coucous. Euh non, parce que le ciel étoilé est énorme et que l’air est frais. On dirait pas aujourd’hui, là le vent souffle depuis la côte alors on y voit pas clair, mais d’habitude c’est cristallin. Aux yeux de la Parisienne, le ciel bleu du jour paraît déjà pas mal. Le père de famille français observe nos échanges d’un demi-sourire, mi-suspicieux mi-ahuri. Sur le parking deux white trash aux cheveux gras échangent autour d’un pick-up. Time to get out of this place. En revenant vers Barstow un panneau indiquant un ghost town attire mon attention. Une dizaine de mètres plus loin, des trailers astiqués cohabitent avec des naufragés. Mais je réalise que la ville fantôme ne doit pas être celle-ci ; c’est juste normal que les gens abandonnent leurs anciens habitats. Je laisse tomber la vraie ghost town et remonte sur l’autoroute, faut que j’avance.

Poursuis la 58 West en passant par Hinkley, Four Corners, Mojave. Suis à mi-chemin. Continue à travers des collines aux herbes desséchées, un gros en 4x4 squatte la file de gauche empêchant tout le monde de passer. Les panneaux rappellent constamment que des radars contrôlent notre vitesse, j’ai pas envie de me prendre un ticket. J’arrive enfin à Bakersfield où les panneaux sont nombreux et compliqués à lire en même temps que la carte, sors au pif, moment de doute, c’est bon. La 99 North rejoint la 65, damnés poids lourds, j’éteins l’air conditionné et ouvre la fenêtre, zappe entre les stations radio, me divertis en regardant les nombreuses machines pomper le pétrole enfoui par ici, commence à avoir faim. Porterville propose trop de sorties au vu de mon état, je tourne mais ne trouve pas de motels bas de gamme, m’arrête finalement au Palm Tree In. Le gars me demande de remplir la fiche, elle est à combien la chambre, attendez j’appelle ma femme. La femme arrive, ça dépend, il y en a à $53, à $47 et à $43. Venez les regarder. C’est bon, elles ont la connexion wifi ? Venez avec moi, d’accord. Je finis par signer la fiche, la 110 est la plus chère. C’est pas le prix qu’on avait convenu ? Si si, et je vous fais le king size gratos. Hmm.

Vais à Wal-Mart acheter une salade de pâtes, puis à Chevron acheter des bières. En inspectant mon permis la caissière adore que je vienne de Paris. Elle joue aux cartes sur Internet chaque nuit et trouve formidable de communiquer avec des gens de Tchécoslovaquie, d’Australie et même d’Ontario – Canada. Sa mère qui a 89 ans gagne au poker tous les soirs dans sa maison de retraite. Ses yeux trop maquillés me transpercent. Devant ma chambre mon voisin direct vient me converser. Son père est Black-American, sa mère Japonaise. Il me demande si le fait de voyager seule est une façon de renouveler mes vœux, euhm on est pas très religieux avec mon époux. S’en suit un long débat sur le sens de la vie, la crise financière et la grippe, comment, porcine. Parce que les cochons sont malades ? On a besoin d’un vaccin pour aller en Europe ? Les hommes ont toujours été violents et créé l’injustice, ça ne changera jamais. Alors il ne reste que la foi, le contraire de l’espoir. Bizarre rencontre. Une heure plus tard j’ai toujours autant de mal à le cerner ; un discours construit et réfléchi mais qui dérape régulièrement. Enfin de ce que j’en entends, parce qu’accroupi à distance respectable, l’homme parle très bas. J’écourte la discussion, il tente tout de même sa chance. Suis-je vraiment heureuse dans mon couple ? Bonne nuit.

vendredi 7 août 2009

Vendredi 7 août




Salton Sea - Joshua Tree

Maintenant je peux le dire : j’en menais pas large hier soir dans mon trailer. Le loquet de la porte ne semblant pas très costaud, j’ai voulu la bloquer avec un objet lourd. Mais comme elle s’ouvrait vers l’extérieur, j’ai juste placé une chaise pliante en équilibre pour qu’elle fasse du bruit -et me réveille- au cas où quelqu’un entrait pendant la nuit. Sioux, j’ai éteint les lumières et attendu 1h30 avant de m’endormir. Il ne s’est évidemment rien passé et je me réveille à 8h30 à peu près reposée. En chargeant la caisse je m’aperçois que j’avais laissé la clé du trailer sur la porte, à l’extérieur. No comment. C’est fou comme on peut se faire des films, à bas Hollywood.

J’entre en terre californienne, précise l’écriteau sur le pont du Colorado River. Arrêt vers midi pour bruncher dans un restau d’autoroute à Chiriaco Summit, à côté du musée General Patton exposant divers tanks et mitraillettes. C’est pratique pour ça les déserts, des super terrains d’entraînement pour un pays en guerre perpétuelle chez les autres. Plus loin un grand panneau informe que la prison d’Etat n’est pas loin. Et juste en-dessous, un autre rappelle qu’il ne faut surtout pas prendre d’auto-stoppeurs. S’en suit une longue série de bornes d’appel, jamais vus dans d’autres Etats. D’habitude ils signalent juste qu’il faut faire marche arrière en cas de tempête de neige ou de sable, c’est selon. Les déserts sont pratiques pour ça aussi, les prisons, au moins on peut être à peu près sûr que même si les prisonniers parvenaient à s’évader, ils crèveraient en tentant de rejoindre la ville la plus proche à pied. La 10 est toujours aussi rectiligne depuis hier soir mais au bout d’une heure, les indications noires sur fond jaune s’affolent. Attention il va se passer quelque chose. Un léger virage vers la gauche, j’ai failli le louper.

Je quitte l’autoroute à hauteur de Indio, me plante, reviens, trouve un chemin qui d’un coup termine sur une dune, reviens encore en arrière. Et si je laissais tomber ? Non. J’arrête de me fier aux indications et conduis au feeling. Cette route-ci semble enfin m’emmener dans la bonne direction. On m’avait dit que Salton Sea valait le détour alors je sors à la Marina. Sorte d’énorme camping rempli de mobile homes désormais sédentaires puisque posés sur des parpaings et entourés de clôtures. Les trailers ont des allures de plus en plus pourries, abandonnés, parfois brûlés.
Des fauteuils gisent le long du chemin, des carcasses de voitures, des bouts de meubles. Je suis dans un ghost camping. Avant de repartir je tiens quand même à mettre les pieds dans l’eau alors je continue jusqu’au rivage. Monte dans les dunes en faisant confiance au 4x4. Me gare au milieu du sable en laissant les portières ouvertes, ça sent pas très bon par ici. Le sable durcit et craque sous mes pieds, bizarre. M’approche de l’eau, vraiment ça pue, mais qu’est-ce qui s’est passé ici ? Je regarde par terre et découvre une tête de poisson desséchée. Garde les yeux rivés sur le sable et m’aperçois que la plage est pleine de poissons en état de décomposition varié. C’était donc ça l’odeur, hmm.
Le clapotis des vaguelettes ramène d’autres poissons et oiseaux migrateurs morts, la mousse de sel recouvre le sable. Le plus grand lac de Californie est à l’agonie, entre un fonds visiblement trop salin et le déversement de pesticides des nombreuses cultures aux alentours. Je comprends pourquoi les habitants des trailers ont quitté les lieux. Et je vérifierai la provenance des fruits et légumes chez Franprix à l’avenir. Un pick-up blanc repasse derrière moi pour la troisième fois, il est temps de repartir.

Traverse les champs irrigués à perte de vue et m’enfonce dans les collines. Je dois rouler dans un ancien lit de rivière, des rochers jaunes d’une vingtaine de mètres se dressent des deux côtés, quelques arbres morts indiquent qu’il y a eu une vie. Me sens pas très à l’aise, peu de traces humaines, il fait très chaud et je ne suis pas sûre que la route mène à l’endroit prévu. Vingt minutes plus tard c’est bon, la 10 se dessine au loin. J’aurai fait une boucle de deux heures mais ça valait effectivement le détour. La Crise n’est pas toujours financière, elle peut aussi être naturelle. L’expérience des Desert Shores de Salton Sea m’aura marquée. Je traverse la 10, continue sur le chemin d’en face et entre dans Joshua Tree National Park. Il est 16h. Le point de péage est fermé, je verrai s’il sera ouvert en sortant de l’autre côté.

Il n’est pas rare d’avoir des idées préconçues quand on se rend dans un nouveau lieu, généralement inspirées des images qu’on a pu en voir. Enfant de la X-generation j’ai grandi en écoutant U2 et suis donc venue voir, de mes propres yeux, Le Fameux Joshua Tree (1987). Mais comme souvent quand on s’attend à quelque chose de précis, on est déçu. Je m’attendais à un désert plutôt sablonneux, mais ne trouve que montagnes et caillasse. La route arpente, limitée à 35mph, mais comme les visiteurs sont peu nombreux j’en profite pour m’entraîner à la conduite sportive. Au départ je m’arrête pour lire les panneaux explicatifs, puis me limite à les lire par la fenêtre et à la fin je passe tout bonnement. C’est pas mal, mais j’en ai vu d’autres et il m’en faut désormais plus pour m’épater. L’ensemble est aride, les petits buissons secs et circulaires, y a du sable d’accord. Pas un Joshua Tree à l’horizon. Lentement mais sûrement le désert change d’allure en montant vers le nord. Une nouvelle végétation se dessine, les tas de rochers passent du noir au jaune et prennent des formes de plus en plus douces. On dirait que quelqu’un les a sculptés puis joué à Tetris, très curieux. Et voilà que j’aperçois un premier arbre qui correspond à peu près à mon souvenir. Mais pourquoi donc est-on tellement attaché à trouver ce qu’on a déjà vu ? Les Joshua Trees sont un mélange de palmier et de cactus, un peu comme une voiture hybride mais toute dévouée à évoluer dans un climat austère. C’est la crise pour tout le monde. Comment ils faisaient les Indiens, et les chercheurs d’or bien plus tard, pour vivre ici ? La Parisienne en 4x4 reste pantoise.

Deux heures plus tard je sors du parc et paye ma PAF du spectacle naturel. Poursuivre ou s’en tenir là ? Si je trouve un motel je m’arrête ici. Au premier feu de Joshua Tree – ville, je vois le panneau du High Desert Motel et tente ma chance. La chambre est à $55 plus taxes. Vous savez s’il y a d’autres motels dans le coin ? Tiens il m’en reste une à $55 taxes comprises. D’accord. No big deal, c’est pour le principe. En sortant du office je vois qu’il y a un autre motel de l’autre côté de la route, tant pis. La 108 est bien trop classieuse pour mes standards, elle sent le propre, offre un frigo ET un micro-ondes, la salle de bains s’étale sur 10m2. Je m’installe à la table de pique-nique sur le parking. Arrivent deux jeunes couples, ont-ils vraiment l’âge de fréquenter les motels ? A mesure que la nuit tombe les touristes déboulent. Comme l’expliquait le gars du office, la crise n’affecte pas vraiment Joshua Tree. Une baisse de 15% à peine, les Norvégiens cramés continuent de débarquer avec leurs enfants. Lui a passé son enfance en Angleterre, mais retournerait bien en Europe en tant qu’adulte. Ni une ni deux voilà que débarquent deux Néerlandais, puis une compagnie d’Italiens au débit interminable.

J’abandonne ma table de pique-nique pour profiter de l’éclairage au-dessus de la piscine enclôturée. A peine installée les Ritals en font de même. De l’autre côté du parking, un JESUS luit dans la nuit, indiquant le chemin aux fidèles dominicaux. Pour la première fois depuis le 24 juillet je mets un pull. A 20h45, seuls les phares des voitures se chassant sur l’autoroute rappellent que la civilisation existe encore. La mienne continue de détonner par sa saleté, les gens n’ont que ça à faire que de laver les leurs ? Le gérant du motel passe par là, lui aussi à une amie écrivaine ; good luck honey, I'll look you up. Une dernière bagnole fait son entrée, son conducteur mettra longtemps à éteindre le moteur.

jeudi 6 août 2009

Jeudi 6 août


Arcosanti

Réveillée plusieurs fois cette nuit parce que j’avais froid. Satané air conditionné. Refais le sac devant Fox News, les débats publics autour du fameux health care plan qu’Obama peine à mettre en place sont houleux. Petit-déj au CJ diner de l’autre côté du parking. La chaise mécanique du vieux en t-shirt bleu beepe quand il fait marche arrière pour se garer à la table. La serveuse est particulièrement gentille avec lui. Finalement, passer sa retraite entre un motel et un diner n’est peut-être pas si mal.

A 10h je laisse les clés de ma chambre dans la boîte aux lettres du office et entame la route de graviers derrière la station Shell. Des panneaux indiquent clairement que je suis sur le bon chemin. 2 miles plus loin j’arrive à Arcosanti, le laboratoire urbain de Paolo Soleri en construction depuis 1970. Me gare sur le parking vide en haut d’un plateau et m’avance vers la réception. Des cloches retentissent dans le vent, on se croirait dans les Alpes. La femme aux cheveux très courts et tatouage me dit que la prochaine visite commence à 11h. En attendant je peux faire un tour sur le visitor’s trail qui me mènera sur le plateau d’en face duquel j’aurai une belle vue d’ensemble du village. C’est parti. J’aurais dû mettre des baskets ; un peu difficile de grimper sur les rochers en sandales et j’ai peur de croiser un serpent. Reviens en nage 40 minutes plus tard, juste à temps pour assister à la projection d’une vidéo présentant le projet d’Arcosanti et la vision de son auteur-créateur.

Après un doctorat en architecture à l’Université de Turin, Paolo Soleri s’installe aux Etats-Unis à la fin des années 40. Entre autres occupations il produit des cloches (je me rendrai d’ailleurs compte qu’il y en a partout) et en vend visiblement assez pour auto-financer ses recherches et débuts de création d’un monde meilleur. Il part du principe que le mode de vie américain, urbanisme étalé tout motorisé (urban sprawl), représente une réelle menace écologique et qu’il est donc urgent de repenser la Ville et l’Habitat. D’où le fondement de sa théorie de l’Arcology - architecture et écologie. Jusqu’ici tout va bien. Mais rapidement on sent poindre les jugements de valeur du style « avant c’était mieux, quand les gens s’organisaient par communautés ». On n’est pas loin des Baruya et leur monnaie de sel étudiés par Maurice Godelier à l’âge d’or de l’anthropologie d’après-guerre vantant l’organisation sociale des gentils sauvages. Mais pourquoi pas. Au croisement de cette vision traditionaliste et du désir de rationalisation cher à Le Corbusier, Paolo Soleri propose de construire des villes complexes et concentrées. Pourquoi se limiter à concevoir des habitats individuels quand on peut penser écologie globale ? C’est ainsi que naît le projet d’Arcosanti, une ville durable prévue pour accueillir 5000 personnes, à dupliquer à travers le monde. Sauf que le prototype n’abrite aujourd’hui qu’une centaine de personnes et qu’il n’a jamais réussi à grandir. Faute de moyens. Parmi les résidents actuels quelques croyants de la première heure, cheveux longs et t-shirts décolorés, et des plus jeunes, en général de passage pour quelques semaines ou mois.

Le gars qui nous fait la visite est électrique, parle sans reprendre sa respiration pendant une heure et demie. Lui vient de Californie, va commencer son PhD d’archi, réside ici depuis deux mois. A raison de 40h de travail par semaine pour la collectivité, il est logé et nourri. Et il ne se sent pas un peu claustro des fois, ça ne lui manque pas l’anonymat ? Je veux dire, à habiter une esquisse de ville au milieu d’un plateau aride de l’Arizona, t’as pas envie de retourner à la ville de temps en temps ? Bien sûr la ville me manque, Gosh j’ai jamais été aussi personnel lors d’une visite guidée, ouais non je ne passe que quatre jours par semaine ici, le reste du temps je suis en vadrouille. Ca veut donc dire qu’il a une voiture, c’est mal. Un oldtimer aux cheveux gris et t-shirt « I got out of bed for this » intervient, reprend sèchement mes questions malvenues pendant qu’il s’allonge sur un canapé dans l’une des pièces de vie commune. Ca va j’ai compris, je lui dis quand même salut avant de suivre le guide survolté, le vieux me répond à peine.

La visite se termine dans la cafétéria où on est invité à déjeuner, $6, pratique. Le chien fou s’est déjà élancé pour le prochain tour et je déjeune avec Ted et Nadini, un couple Asiatique-Indien en transit. Ils quittent Las Vegas pour s’installer à San Antonio - Texas où Ted vient d’avoir un poste de chercheur. On rigole bien tous les trois, aucun doute ils sont « éduqués » comme on dit ici et clairement Démocrates. On est d’accord pour dire que l’analyse de Soleri est bonne, mais aucun de nous ne se verrait habiter un tel complexe. Parce que tel que le présente le modèle en miniature d’Arcosanti quand il sera abouti, la vie économique, familiale et sociale évoluerait dans un espace quand même restreint, bien concentré et tout en hauteur. Reste que ce projet retrouve une dynamique par les temps qui courent ; le souci du gaspillage, la culture macrobiotique et la crainte d’un avenir sans atmosphère sont des valeurs qui ont le vent en poupe.

Je remonte dans mon SUV polluant vers 13h30 et descends la 17 jusqu’à Phoenix. J’en avais un mauvais souvenir de mon passage il y a deux ans et malheureusement ça se confirme. L’autoroute qui longe la ville compte pourtant six files, mais toutes sont bloquées. J’y passe une première demi-heure. Mon méchant SUV étant moderne, il indiquait depuis quatre jours déjà qu’il faudrait penser à changer l’huile du moteur. On avait décidé avec Marco de pas y faire attention, habitués au voyant lumineux et aux bips réguliers. Sauf que là, au milieu des accordéons, le message néon me précise soudainement que ça devient urgent. Ehrm. Je quitte l’autoroute pour m’aventurer dans Suburbia, demande conseil à un gentil pompiste qui me conseille d’aller chez Wal-Mart trois avenues plus bas. Le gringalet aux multiples piercings commence à remplir une fiche, nom, adresse, numéro de téléphone, j’en ai pas, pas grave, on vous appelle dans le supermarché quand on aura fini. Finalement je suis contente de marquer une pause et pars à l’aventure dans la gigantesque-hyper-surface pendant 40 minutes. Reviens au comptoir, la voiture n’est pas encore prête, mange une salade plastique entre des rayonnages de pneus et de matériel de chasse, m’endors à moitié. On m’appelle enfin ; on a changé l’huile mais pas le filtre alors vous n’avez rien à payer. Comment ça, c’est bon ou c’est pas bon ? On a changé l’huile mais pas le filtre. Ok… Je reste perplexe, le gars a l’air de trouver ça rigolo. Je ressors sur le parking bouillant, demande à un autre type où se trouve ma voiture, c’est une Ford noire, humm, très sale. Oui elle est là-bas. Merci. M’installe au volant, le voyant me dit toujours qu’il faut que je fasse quelque chose pour l’huile, je ressors de la caisse. Le type me repère de loin, arrive vers moi au galop, j’explique que je suis pas certaine d’avoir bien compris. Son collègue le rejoint, ils ouvrent le capot, dégainent les torchons, vérifient le niveau d’huile. Are you a dancer, me demande l’un d’eux. Pardon ? C’est bon, tout va bien, vous pouvez rouler sans souci. Merci. Je repars pas tout à fait rassurée, je verrai bien si ça sent le cramé. En fait je sais même pas ce que ça implique un problème d’huile de moteur. Pas pour rien que j’ai pas de bagnole dans la vie normale.

Ne retrouve plus l’entrée de l’autoroute, perds une autre demi-heure, ça va faire deux heures que je patine. Parviens enfin à remonter sur la 17 mais la transition vers la 10 West est interminable, un premier accident, un deuxième a crevé, un troisième blocage pour cause de roadworks, rester calme je suis en vacances. Ma montre indique 17h, celle de la voiture 18h, ça fait longtemps que j’ai perdu le compte ; je ne sais plus quel jour on est, ni l’heure exacte. Est-ce que l’Arizona, le Colorado et la Californie sont dans le même fuseau ? Faudrait se fier à la position du soleil mais je m’y connais pas plus qu’en huile de moteur. Alors je continue de rouler jusqu’à ce qu’un autre voyant lumineux dit qu’il faut mettre de l’essence. Ca je sais faire, sauf que là c’est ma CB qui fait des acrobaties. Elle finit par passer, pas rassurant pour la suite. Et si j’avais atteint la limite de retrait / encaissement, comment je fais pour revenir jusqu’à SF ? On verra bien, là j’ai juste envie d’arriver quelque part.

La 10 est rectiligne pendant 55 minutes, les fuseaux horaires sont unanimes. Devant moi le soleil décline, j’adore l’Arizona en fin de journée, plate à perte de vue et bordée de montagnes dans tous les dégradés de bleu imaginables. Juste avant de franchir la frontière de la Californie je quitte l’autoroute, les environs sont passés au rose pale, les drapeaux des magasins longeant l’avenue principale flottent dans le vent chaud, m’arrête devant le premier motel repéré. Le office se trouve dans une minuscule cabane en bois, je sonne, le moustachu en débardeur du Quartzsite Yacht Club demande ce qu’il peut faire pour moi. La chambre est à $53 tout compris, un peu cher mais j’ai envie de me poser.

Ce sera ma première nuit dans un trailer, j’avais pas fait attention en enregistrant. C’est pas mal, plus spacieux que ce que j’aurais imaginé. Le dessus de lit est le même que dans tous les motels pratiqués aux Etats-Unis ces dernières années, ainsi que le petit savon emballé dans la salle de bain. Si mon cabanon est fumeur, je préfère tout de même m’installer sur les marches métalliques donnant sur ma voiture toujours enveloppée d’une pellicule de sable de l’Utah.

mercredi 5 août 2009

Mercredi 5 août

Hit the road Jack…

C’est bizarre comme dans certains contextes on n’a plus besoin d’alarme pour se lever, où il suffit de décider la veille à quelle heure on veut se réveiller et où le chrono interne se met en marche. On avait dit qu’on prendrait le petit-déj avec Guy à 8h alors j’ouvre les yeux à 7h20. Sam, la fille qui assure le service dans la salle commune, demande si j’ai trouvé ce que je cherchais à Target hier, elle se souvient de tout. Toujours calme et souriante, elle sert les mômes qui grimpent sur les tabourets du comptoir chaque matin avec leurs airs gâtés. Je me demande comment ils réagiront le jour où ils auront à gagner eux-mêmes l’argent nécessaire pour habiter un palace pareil. Avant de partir au bureau, Guy me bippe l’ascenseur et me rouvre l’appart pour que je puisse terminer les bagages, consulter la carte et décider du chemin à suivre.

Quand je traverse le hall à 9h15, deux portiers accourent pour m’aider avec les sacs. Dehors sur le parking les voitures brillent sous le soleil, sauf une qui détonne par la couche de crasse qui l’enveloppe. Suis un peu gênée, le gars rigole dans sa barbe. M’installe au volant de cette voiture que je connais bien pour l’avoir pratiquée plus d’une semaine mais sans l’avoir jamais conduite moi-même. Je ne trouve pas le levier pour faire avancer le siège conducteur, appelle Marco qui ne sait plus, finis par consulter le manuel d’instruction. Ehrm. A 9h30 je suis toujours en train de consulter la carte, partir vers l’est ou vers l’ouest ? J’ai la tête qui tourne de calculs de jours et de tarifs ; si je ramène la caisse à Denver il faudra payer un billet d’avion jusqu’à San Francisco, si je la dépose à SF il faudra payer un drop-off fee. Les deux montants sont du même ordre et ça m’arrange pas. Coup de mou, voire grosse fatigue qui m’envahit. C’est pourtant pas compliqué, qu’est-ce que j’ai envie de voir pendant les six jours qu’il me reste ? Je ne sais plus… Il me semble désormais évident que le choix de rester à Las Vegas un jour de plus tenait précisément à ce dilemme. Le démarrage d’un voyage en solitaire est lourd. Ca me rappelle d’ailleurs que j’avais décalé le jour du départ de Boston il y a deux ans. Bref, qu’est-ce qu’on fait ? Direction sud-ouest. D’accord. Euhm non, sud-est plutôt. C’est mon dernier mot ? … Moui. Bon allez on y va, sinon il sera midi et l’heure de manger puis de la sieste et il sera encore trop tard pour partir. Pro-cra-sti-na-tion.

Je tourne la clé, regarde dans le rétro pour faire marche arrière mais n’y vois rien tellement la vitre est crade. Le grand veau démarre doucement, répond à mes commandes, je mesure sa taille et sa réactivité. Ca va aller. M’avance jusqu’à la barrière, fais un sourire aux gars en costume noir et oreillette qui m’ouvrent la grille et m’abandonnent à moi-même. Plus possible de revenir en arrière, j’ai pas les bips et les cartes magnétiques pour remonter dans l’appart. Tourner à gauche au premier feu, monter sur Sumerlin Highway, faire le tour de la ville par le nord, récupérer la 515. Mais ce sont les indications que Guy avait données dans l’hypothèse où je partais vers l’ouest ? Pas grave, je trouverai bien. Continue de rouler, regarde les panneaux, ça a l’air pas mal, une indication vers Hoover Dam, c’est bon. Je laisse Vegas derrière moi, perçois de loin l’eau turquoise de Lake Mead puis traverse le barrage au-dessus duquel un gigantesque pont est en cours de construction.


Monte sur la colline d’en face et m’arrête au belvédère. Comme il y a deux ans moins une semaine, exactement. Appelle Jef, comme il y a deux ans moins une semaine, précisément. C’avait été notre dernier contact téléphonique avant qu’il ne me rejoigne en surprise à Las Vegas et qu’on se marie. Ce retour dans le temps me touche et ça fait drôle de repartir dans la direction opposée. Changement de cap, changement de perspective, nouvelle destination, nouveaux objectifs. Nouvelle vie. Je sens une envie de rentrer tout de suite à Paris. A quoi bon repartir sur la route, le Voyage a déjà été réalisé avec Marco les dix premiers jours ? J’ai vécu tellement de sensations, vu tant de sites incroyables, qu’est-ce qu’il reste à découvrir ? Les dix jours restants sont-ils vraiment nécessaires ? Ces questions me taraudent jusqu’à ce que s’allume le voyant lumineux rappelant que le réservoir d’essence sera bientôt vide. J’ai clairement perdu mes réflexes. Ne pas paniquer, une station se dessine au loin. Note pour plus tard.

Prochain arrêt à Kingman vers midi où je revois le joli panneau à côté d’un cactus géant indiquant Bullhead City vers la droite, Las Vegas en face. A l’époque je n’aurais jamais pensé que je reviendrai sur mes pas. Je mange un BLT dans un diner « originel » de la route 66, profite de la connexion wifi pour envoyer des mails et checker les indications pour me rendre à la destination du jour enfin arrêtée.
Repars sur la 40 West jusqu’à Ash Fork où je m’arrête de nouveau pour une micro-sieste sur un parking de station-service, la voiture noire se transforme vite en four. Un Red Bull et ça repart par la 89 South. Je trouve deux nouvelles stations radio, l’une trip-hop et l’autre électro, parfait. Traverse Chino Valley et Prescott avec leurs grandes surfaces et villages de trailers. A Cordes Junction et sa rencontre avec la 17 j’ai un doute ; monter vers le nord ou descendre vers le sud pour trouver un motel ? Au pif je descends, mais change d’avis à la première sortie proposée. Sais pas trop pourquoi, mais reviens sur mes pas et sors finalement de l’autoroute à Junction. Comme il y a un Mc Do et une station Shell, il y aura peut-être un endroit pour crécher. Bien vu, le RV Park propose aussi quelques chambres en dur.

Il est 17h, l’air sec et très chaud. Je passe devant le Shell, trouve un chemin de graviers qui mène au office du motel. La station radio n°35 joue un piano ténébreux, je me demande si je fais une connerie en m’arrêtant ici. Le parking est vide, un type en casquette et barbe me regarde de loin. Quelques RV parqués derrière une clôture en bois, branchés sur la prise d’eau commune. Un panneau affiche les prix au jour, à la semaine, au mois. La mienne sera à $42 avec connexion wifi. Le CJ diner ouvre dès 6h30 me dit la blonde pendant que je remplis la fiche. D’accord. En fait je suis venue pour visiter Arcosanti, vous connaissez ? Oh oui, la route part juste derrière la station-service. C’est sympa ? Paraît que oui ; depuis quatre ans qu’on gère le motel on y est jamais allé, c’est à 2 miles mais quand on a un jour de libre on préfère aller au casino. Tu viens d’où, demande son mec. De France et de Suède. De deux pays !? On n’a jamais eu de clients suisses. Elle dit qu’elle vient de Suède pas de Suisse, rétorque la blonde. J’sais pas moi, nous on est d’Arizona. Check-out à 11h ; ok. Fumeur ? Oui ; faudra fumer dehors. Animaux domestiques ? Non. Elle coche les cases sur la fiche.

La chambre 12 se trouve tout au bout de la maisonnée. Je pars au Mc Do chercher la salade plastique du soir, pour les bières il me faudra revenir avec une carte d’identité. Je ne l’interprète plus comme un compliment, juste comme une application de La Règle. Réalise qu’il me manque le mot de passe pour la connexion Internet et reviens au office. Pas de problème me répond le type, il sort un papier et commence à écrire BORN… IN… THE…, il marque une pause pour vérifier, ... USA. Voilà ! Merci. Mange la moitié de la salade plastique en regardant Fox News et un débat conversant de la bêtise simulée, ou non, de Sarah Palin aux dernières élections. M’installe devant la chambre sur un banc éphémère. Le néon vert du CJ diner juste en face devient de plus en plus lumineux à mesure que la nuit tombe. Son ventilateur souffle incessamment. Un vieux en t-shirt bleu clair au short assorti fait un tour dans sa chaise mécanique sur le parking, inspecte les camions devant la station Shell et les prés jaunis qui s’étendent devant nous avant de rentrer se garer devant sa chambre.

Le ciel est passé du bleu au rose au jaune, le vent chaud m’enveloppe. A 20h il fait déjà nuit noire. Le cordon d'alimentation est assez long pour brancher l'ordinateur même à l’extérieur. En fin de compte je suis pas mal.

mardi 4 août 2009

Mardi 4 août

Un jour sur place

J’avais prévu de quitter Las Vegas ce matin mais ne me sens pas prête. D’abord parce que l’expérience d’hier m’a un peu sonnée, puis parce qu’on est bien ici, enfin parce que j’arrive pas à décider de la route à suivre. J’ai trop d’options et en même temps aucune qui sorte clairement du lot.

Alors je commence par prendre un petit-déj, dans une des salles communes au rez-de-chaussée de la résidence, digne d'un hôtel de luxe. Au moins on sait où vont les charges du loyer. Puis la fille qui s’occupe de la vente des appartements restants nous fait une visite privée du penthouse. Un triplex de plus de 1000m2, terrasse avec piscine, dressings de 20m2 pour chacune des huit chambres, sauna, hammam et jacuzzi face à d’interminables baies vitrées donnant sur les Casinos. Prévoir $10.000.000. Jamais vu un truc pareil. Je descends faire une session à la salle de gym commune, un espace gigantesque rempli de machines de loin plus sophistiquées que celles de ma salle parisienne. Cependant pas le temps de profiter de la piscine, jacuzzi, massage et autres pédicures. Jeremy propose de faire un tour en avion pour regarder la ville sous un autre angle, mais comme on s’y prend à la dernière minute ça va pas être possible. Alors on fait un tour chez Target et on mange des sushis avant de revenir à l’appartement de Guy qui paraît ridiculement petit du haut de ses 150m2.

Il faut maintenant que j’arrête un itinéraire pour les prochains jours. Parce que si je le fais pas cet après-midi, le triangle des Bermudes qu’est cette ville risque de m’engloutir. Je me couche donc tôt en comptant sur la nuit et ses conseils.

Lundi 3 août




Death Valley

La soirée d’hier s’est terminée tard dans un bar du MGM Casino rempli de hordes criantes célébrant des futures mariées. Un taxi vient chercher Marco à 6h pour l’emmener à l’aéroport. Pour ma part le lever se fait à 7h, aujourd’hui il faut sortir tôt. Jeremy, un ami de Guy, veut venir avec moi pour l’excursion du jour. On récupère sa voiture dans le garage Fort Knox et sortons de Vegas vers 8h30 par la 95.

Jeremy et sa voiture aiment rouler vite, alors on survole les déserts poussiéreux vers le nord-ouest. Arrêt essence et sandwichs à emporter dans un bled nommé Beatty, avant de tourner à gauche sur une droite à perte de vue. On passe le col d’une petite montagne et entrons dans Death Valley. Une large vallée au fond de laquelle on perçoit des surfaces blanches, sans trop comprendre ce que c’est. Première décision : tourner à droite, faut bien choisir une direction quand on sait pas trop à quoi s’attendre.
On voit des voitures garées alors on s’arrête aussi, et d’un coup on réalise qu’on est face à des dunes de sable blanc à perte de vue. On monte sur l’une d’elles, le sable qui glisse sur mes pieds est brûlant. Mais l’air n’est pas trop chaud, on nous aurait donc encore survendu ce site affichant le deuxième record du monde de chaleur.

On revient sur nos pas et descendons vers le fond de la vallée où se trouve le point le plus bas du pays, -282 feet. Ca ne fait pas grand effet, on se rend pas compte de l’altitude en négatif. Dans le bassin de Badwater se déroule une langue de terre salée, sorte de piste blanche au milieu des tons marron, gris et noir des montagnes environnantes. On s’était dit qu’on mangerait ici, assis sur le seul banc repéré dans le parc, mais je sens que ça va être difficile. D’habitude je ne crains pas trop la chaleur, mais là ça va juste pas être possible. On mange donc dans la voiture, air conditionné à fond. C’est pas très écologique mais je ne vois pas d’autre solution. En repartant, je regarde le thermomètre de la caisse et comprends pourquoi : il fait129°F, autrement dit 54°C. Je n’avais jamais connu une telle chaleur. Mon regard sur Death Valley commence peu à peu à changer. Je regarde les énormes cailloux détachés des montagnes et les pics rocheux d’un autre œil, je réalise tout d’un coup qu’il n’y a aucune végétation autour de nous, pas une fleur, pas un animal quel qu’il soit. Aucune existence, rien de vivant. Tout est sec, brûlé, mort.

En repartant de Badwater Basin un panneau indique Devil’s Golf Course, on tourne à gauche, roulons au milieu de la vallée plate et blanche et arrivons sur un parking circulaire. D’abord je ne comprends pas ce qu’on est censé y voir, puis je m’aperçois qu’on est entouré de blocs de sel cristallisés faisant parfois près d’un mètre de haut. Il n’est pas recommandé de marcher dessus, les bords étant tranchants comme du verre, mais je m’aventure quand même au milieu de ce champ de météorites salés sur mes sandales. Pas une super idée, mais je reviens en un morceau. Les sandales en revanche semblent mal résister à la braise dans laquelle on est baigné et j’ai la sensation qu’elles commencent à fondre.

A partir de maintenant on ne descendra de voiture que quand ça aura l’air de vraiment valoir le coup, et le dernier arrêt se fait à Zabriski Point, un belvédère surplombant une vallée plus petite entourée de montagnes multiformes et multicolores. On quitte le parc par la 190 en atteignant des pics de vitesse à 220 km/h, le genre de conduite possible seulement parce que les routes sont rectilignes et très peu fréquentées. Une expérience à l’opposé de celle que fait vivre Death Valley, où tout est figé par la chaleur désormais insupportable. Je reconnais la limite de ma résistance physique et tire humblement mon chapeau aux Natives qui ont vécu ici, ainsi qu’aux nombreux mineurs ayant longtemps extrait du borax des plaines salées.

De retour à la civilisation on passe au supermarché pour préparer un bon dîner pour Guy qui revient du travail vers 19h. Thon grillé et salade, il faut faire le plein d’aliments frais avant de repartir sur la route des motels et des diners. On passe la soirée sur le balcon, la chaleur redevient respirable à 22h, les garçons jouent avec leurs blackberrys pendant que j’admire les lumières de Vegas qui scintillent sous nos pieds.

dimanche 2 août 2009

Dimanche 2 août

Double Negative

La situation est la suivante. Après moult réflexion, nous avons décidé de descendre à Las Vegas avec Marco. De là il prendra un vol pour Boston demain et moi je garde la voiture de location que je ramènerai à Denver vers le 10 août. J’y prendrai un vol pour SF, je passerai quelques jours en ville avant de m’envoler pour Paris le 14 comme prévu. Aujourd’hui sera donc notre dernier jour ensemble sur la route. Je suis bien contente que Marco soit avec moi parce que l’installation que nous allons visiter me fait un peu flipper, les conditions risquent d’être extrêmes…

Il fallait qu’on se lève tôt alors je me réveille à 6h50 sans alarme. Douche rapide, check-out et Starbucks dans le Casino où les survivants de la nuit actionnent mollement le bras des machines à sou. Il ne fait que 30° lorsque nous quittons la 15 pour entrer dans Overton. Le panneau à l’entrée du bled ne fait aucune mention de la Mesa que nous cherchons mais j’avais imprimé les indications routières avant de quitter Paris. Alors on conduit sur une piste poussiéreuse au milieu de nulle part, grimpons le plateau, tournons à gauche sur une piste encore moins fréquentée, poursuivons un kilomètre et demi puis garons la voiture. Nous sommes au bord d’un précipice qui descend vers une vallée au fond de laquelle ondule une rivière. Mais dans la centaine de mètres qui nous en sépare, le sol s’ouvre sur une tranchée d’une dizaine de mètres de profondeur et une trentaine de long. C’est une des tranchées de Double Negative, Le Site de Land Art autour duquel tout ce voyage s’était originellement organisé.

Comment décrire Double Negative ? Elle se compose de deux tranchées qui se font face, parallèles au précipice, avec un vide au milieu. Du début d’une tranchée jusqu’au fond de l’autre, il doit y avoir 500 mètres. Pour les creuser, entre 1969 et 1970, Michael Heizer a fait déblayer 200.000 tonnes de terre. Autrement dit, c’est gigantesque.
On descend dans la première tranchée, un dénivelé de plus de 10 mètres. Les parois sont pour la plupart encore en bon état, dans le sens de pas effondrées par l’érosion. Au fond de la tranchée le sol sablonneux est plat. On marche jusqu’à la fin de la tranchée qui s’ouvre sur le vide, qui à son tour descend vers la rivière. Et de l’autre côté de ce vide commence la seconde tranchée. Mais pour y accéder, il faut remonter sur le haut de la Mesa et faire le tour à pied (ou en voiture). De l’autre côté nous descendons dans la seconde tranchée, plus petite celle-là et en moins bon état.

Nous revenons à la voiture une heure plus tard. La température s’approche désormais des 40°. Malgré le petit vent qui souffle sur le plateau la chaleur devient peu à peu contraignante, mes mains tremblent et on est essoufflé au moindre effort. Pendant la prochaine demi-heure, passée dans la voiture, portières ouvertes, à réfléchir et à prendre des notes, le thermomètre monte à 45° et la peau commence à brûler. Pas un arbre à l’horizon, pas une once d’ombre pour se protéger. Le malaise n’est pas loin quand on entreprend une autre piste pour retrouver l’autoroute, piste qui s’avérera mauvaise d’ailleurs, je comate à moitié pendant que Marco s’amuse à déraper dans le sable. Deux petites heures plus tard nous entrons dans Las Vegas, mangeons des sushis ( !), faisons un tour à Target qui est ma grande surface préférée, puis allons chez Guy qui vit dans un appartement splendide au 10ème étage avec une vue imprenable sur la ville de toutes les débauches.

Que dire de Double Negative… D’abord une grande surprise parce que ce site ne correspondait pas à ce que j’en avais compris par les descriptions lues et les photos visionnées avant de venir. J’ai maintenant une réponse à la question du pourquoi une œuvre mérite d’être vue de ses propres yeux. Déjà pour la comprendre, cognitivement. Ensuite pour la vivre, l’expérimenter physiquement avec tous ses sens. Parce que Double Negative doit se Vivre. Sa taille est impressionnante et le travail nécessaire à sa réalisation mérite tout respect. Ses formes angulaires, tranchantes, tous ses angles droits s’opposent à merveille avec les courbes naturelles qui l’entourent. La rivière qui serpente en bas dans la vallée est Douceur, alors que les parois droites des excavations sont Tranchantes. La terre creusée est jaune beige, alors que la vallée est verte et vivante avec ses arbres et herbes folles. Ces deux tranchées aux angles droits résultent de la main de l’homme, mais tendent peu à peu à s’harmoniser avec la nature alentour à cause de l’érosion et de l’eau qui les reforment suite aux pluies saisonnières. C’est une œuvre qui vit sa vie, évolue au-delà de la volonté de son auteur. L’expérience que nous en faisons est beaucoup plus directe et basique que tout ce que j’ai pu lire dessus. Je comprends bien l’intérêt des nombreuses pages écrites dessus, sur le sens de la double négation que représentent ces deux tranchées autour d’un précipice, sur la réflexion sur ce qui a été et ce qui est, blabla. Mais quand on est face à cette création, le ressenti est bien plus simple : on est fasciné par son énormité, par sa solitude, par son invisibilité. Parce qu’elle n’est perceptible que quand on est juste au-dessus ou dedans. Encore une fois se pose la question du sens de l’œuvre en tant qu’objet extérieur ou en tant qu’objet expérimenté de l’intérieur. J’ai eu du mal à quitter le site, j’avais pas envie de la laisser, suis même redescendue de voiture pour refaire quelques photos. J’avais senti ce même attachement, sorte d’affect, à Sun Tunnels et à Spiral Jetty. Bizarre. Restent les photos pour se remémorer les sensations ressenties sur place.

Atterrir à Las Vegas après une telle expérience paraît de ce fait d’autant plus dingue. Tant d’urbanisme, tellement de voitures. Sans parler des souvenirs incroyables du 11 août 2007 où Elvis nous avait mariés, Jef et moi. Marco, Guy et un ami à lui jouent aux dominos en buvant du vin blanc. Je suis installée sur la terrasse surplombant le désert, la chaleur qui m’entoure est semblable à celle dans un sauna, pour de vrai. Etouffante et sèche. Au loin, les montagnes virent au rose dans le soleil déclinant. On est bien.