vendredi 31 juillet 2009

Vendredi 31 juillet

Spiral Jetty

Le réveil sonne à 8h30, mais je ne dors plus depuis une heure déjà. Petit-déj dans le restau 24/24 du Casino, des vieux sont déjà installés aux machines à sou. On reprend la 80 vers l’est, dépassons Bonneville Speedway et voyons se dessiner un truc de l’autre côté de l’autoroute.

Une construction en forme d’arbre de 26 mètres de haut, intitulé « Metaphor : The Tree of Utah » ou encore « The Tree of Life », conçu par un artiste suédois du nom de Karl Momen entre 1982-86. Il l’a financé lui-même, go figure. Nous roulons sur une route toute droite pendant une heure. Une heure sans aucun virage, ça fait bizarre. Mais attention, la 80 finit par tourner un peu vers la gauche, puis un peu vers la droite et voilà que Salt Lake City se dessine au pied d’une montagne bleue. On contourne le Lac par l’est et montons par la 15 jusqu’à Tremonton. Arrêt salade plastique dans un Mc Do des familles avec beaucoup d’enfants en bas âge. Il n’est que 13h et nous pensons avoir la journée devant nous.

Alors on continue tranquillement sur une petite route entre les collines et les prés desséchés pour nous rapprocher des rivages du Lac. A hauteur de la cahute de Promontory un panneau discret indique un chemin de graviers. Avec notre grosse 4x4 on n’a pas peur et roulons vite dans la poussière, mais quelques dizaines de kilomètres plus tard ça se gâte. Nids de poule, blocs de pierre et carrément trous dans la piste nous obligent à ralentir. On perçoit enfin l’eau, mais on en est encore loin. La conduite finit par devenir agaçante, quand est-ce qu’on arrive ? Quelques virages plus loin on voit la jetée industrielle dont on nous avait parlé. Et deux collines après on le voit enfin : Spiral Jetty, cette jetée en pierres noires construite par Robert Smithson en 1970.

On gare la voiture, vissons nos casquettes sur la tête et descendons au bord de l’eau. Enfin, sur la bande de terre salée laissée à nu par le Lac qui s’évapore peu à peu. Spiral Jetty est donc une jetée en forme de spirale qui s’étend dans le Lac sur une trentaine de mètres. Avec nos tongs on a du mal à marcher sur les pierres irrégulières alors on les enlève pour avancer pieds nus sur le sel humide. Drôle de sensation ; on dirait de la neige, mais c’est chaud. La croute craque sous notre poids, un peu comme quand on tape une cuillère sur une crème brûlée qui sort du four. Derrière le Jetty commence le Lac, l’eau est étonnement chaude. Ici il vaut mieux se rechausser, le sel est tranchant comme des débris de verre. Au bout de quelques minutes l’eau salée commence à piquer la peau, faut vite en sortir. Sur le bord du rivage les vaguelettes forment une mousse blanche, comme des œufs montés en neige. Le reflet rosé de l’eau vient des sédiments qui la remplissent, elle est pleine de micro bestioles.

Les premières sensations se dissipent pour laisser place à la réflexion. De retour sur le Jetty, je m’interroge sur l’envie ressentie en arrivant sur le site de ne pas monter dessus mais de marcher à travers. Pourtant la spirale ne fait que quelques dizaines de centimètres de hauteur, la taille des pierres qui la composent. Et nous ne sommes visiblement pas les seuls à avoir voulu la contourner, à être passés au travers ; le sol salé humide est empreint de traces de semelles. Cette installation est typique des œuvres de Land Art : plus on s’en approche, moins on les perçoit. On a envie de rentrer dedans, mais ce faisant on y devient aveugle. Pour bien les évaluer il faut donc s’en éloigner. Au moins Spiral Jetty, comme Sun Tunnels l’autre jour, peuvent être embrassés du regard. Ce ne sera pas le cas avec le troisième, Double Negative au nord de Las Vegas.

Notre impression du Jetty est mitigée. Pour Marco, c’est le site qui l’a le moins impressionné sur le coup. Pour ma part, j’ai été un peu déçue par sa taille, bien moindre que ce que j’avais imaginé, mais je l’ai trouvée « mignonne », tout ce noir solitaire au milieu d’une étendue de blanc rosé. Si cette œuvre rend mieux en photo qu’en vrai, il n'en reste pas moins que le contexte dans lequel elle se dessine est fascinant. On se croirait au pôle Nord, la chaleur en moins, les croutes de sel ressemblant à des bouts de banquise. Mais Spiral Jetty a une valeur ajoutée malgré elle ; à sa construction, les pierres composant la Spirale étaient blanches, car recouvertes de sel et sortant à peine de l’eau, comme nous avons pu le voir sur une vieille photo aérienne. Avec le retrait des eaux du Lac elle a donc carrément changé d’aspect, ce qui met bien en valeur la dimension évolutive du Land Art. A la différence de Sun Tunnels par exemple, qui ne risque pas de changer de si tôt. Reste qu’on aura été moins foudroyés aujourd’hui qu’hier à Bonneville. Sans parler de la première nuit au Rainbow et de la rencontre avec Bill le paradoxal.

On remonte en voiture une heure plus tard. Il fait très chaud. Nos pieds et mollets sont recouverts de sel séché, ça pique et ça gratte. Sur le chemin du retour on s’arrête à la cahute de Promontory et découvrons la valeur historique de Gold Spike. C’est ici que fut posé le dernier rivet du chemin de fer transcontinental en 1869. A l’époque Promontory était un hub et une ville était construite autour de la gare. Il n’en reste plus rien. Le musée minuscule est fermé mais on contourne le grillage pour regarder la fameuse traverse en bois reliant les deux côtes des Etats-Unis. Elle a l’air bien neuve à mes yeux, mais reconnaissons sa valeur symbolique. Un écriteau explique que Promontory s’est fait voler la vedette par une autre ville que nous avons visitée, Lucin à l’entrée du chemin menant à Sun Tunnels, lorsque le chemin de fer a été retracé plus tard. Toujours est-il qu’il ne reste rien de ces deux fameux sites, aucune fondation de maison, pas une trace de route, à peine quelques arbres.

Une petite heure plus tard nous sommes de retour à Tremonton, enregistrons au Sandman Motel puis dînons au Denny’s du coin. A côté du stade, des cowboys s’échauffent en faisant galoper leurs chevaux dans la poussière, ils préparent les courses du vendredi soir. Il est 19h lorsque je m’installe sur le parking devant la chambre pour noter les impressions du jour, le soleil couchant chauffe encore à 35°C. Si l’air est sec, on se sent tout de même humide avec la couche de sel qui nous recouvre. La soirée sera logistique. Felitia, que je devais retrouver en ville demain soir, ne peut malheureusement plus venir pour raisons de santé. Du coup je vais louer une nouvelle voiture, puisque Marco ramène celle-ci à Denver, pour une semaine de roadtrip en solitaire. Je rendrai la voiture à Salt Lake City dans une semaine et prendrai un vol pour San Francisco.

Au-dessus du parking le ciel passe du bleu au rose au jaune. La nana du Office sort arroser les plantes pendant que son petit chien aboie à la lune. Elle nous demande comment on se connaît. Le gars qui regarde la télé dans la cuisine du Motel sort fumer une clope, bière à la main. Il prétend que les bières vendues dans l’Utah sont moins fortes, on est chez les Mormons. Les appareils d’air conditionné ronronnent autour de nous, l’air devient peu à peu respirable.

jeudi 30 juillet 2009

Jeudi 30 juillet

Salt Flats

Have you ever killed someone ? demandera Bill à quatre reprises. A 17 ans il est parti au Vietnam en tant que mitrailleur en hélicoptère et a tué plus de 2000 Viet Congs. Quand t’es face à l’ennemi tu sais que c’est toi ou lui. You know what life is worth. Comme les autres, il a été mal reçu par ses compatriotes à son retour. Alors tu te montres plus sympa envers les soldats qui reviennent d’Irak ou Afghanistan aujourd’hui ? Ah non, aucun respect, ils ne font ça que pour l’argent. Bill trouve qu’Obama fait du bon boulot, son seul problème est qu’il est Noir. Et Bill n’aime pas les Noirs ni les Mexicanos ; Obama leur donne du boulot juste à cause de leur couleur. Regarde le cas Gates ces derniers jours, s’il n’était pas Noir c’est clair qu’il n’aurait jamais eu de poste à Harvard. Il essaye de cambrioler sa propre maison et se fait attraper, bien fait pour sa gueule. Ou regarde le barman là, il est super efficace alors qu’il est Chicano, c’est vrai qu’ils bossent dur ces mecs. Ehrmm ok… Je suis Mormon et raciste, et puis c’est tout. Et les Républicains ? Je déteste Bush, il n’a fait que du mal à notre pays. J’aime bien Obama même s’il est Noir. Bill n’est pas à une contradiction près et quand on lui fait remarquer, il hoche lentement la tête en disant You’re a very smart person.

Quand Andrew a fini son service derrière le comptoir des paris sportifs il nous rejoint au bar. Il est venu de son Indiana natal parce que sa sœur s’était installée ici. C’est sympa de travailler au Casino ? Know what, people are evil. Il avait observé un homme l’autre soir qui a taxé $2000 à sa famille et qui a tout perdu. Mais lui gagne bien sa vie alors il reste encore un peu. Il est surtout à la recherche du grand amour. Je trouverai d’ailleurs un petit papier avec son nom et numéro discrètement glissé dans mon sac. Les tournées s’enchaînent et comme on n’a rien mangé depuis midi on commence à être bien ivres. A une heure inconnue on parvient à retrouver l’ascenseur mais on a du mal à ouvrir la porte de la chambre. Morts de rire on s’effondre tout habillés.

La réception nous réveille à 11h30. It's check-out time, oui désolée, on va rester encore une nuit. On se traîne péniblement jusqu’à la voiture pour traverser la route et nous rendre au Mc Do. Un peu rude comme petit-déj quand on a la gueule de bois. On descend l’avenue principale (d’ailleurs la seule avenue de la ville) jusqu’à capter un réseau Internet en wifi, puis continuons la route vers l’est et entrons dans le désert de sel.

La route goudronnée s’arrête abruptement pour s’ouvrir sur un espace blanc illimité : Bonneville Speedway est La Piste des Records de Vitesse du Monde. Marco est comme un fou et pousse le 4x4 au maximum, mais on ne dépassera pas les 170km/h. Dommage de pas avoir une bagnole plus puissante, c'était l'occase.

On s’arrête au milieu de nulle part. Impossible d’évaluer les distances, impossible de voir au loin, impossible d’ailleurs de garder les yeux ouverts sans lunettes de soleil. Tout est blanc blanc blanc. Derrière nous quelques montagnes aident à fixer le regard et à éviter le vertige. Ce que je ressens est difficile à décrire, sorte d’envie de hurler et de courir, une attirance vers le néant. Alors qu’il est 14h et le soleil au zénith, il ne fait pas trop chaud puisque le blanc renvoie la chaleur. On évolue dans la mer blanche, les cristaux de sel s’agglutinent sous nos pieds et alourdissent la marche.

Mais on s’éloigne pas trop de la voiture, comme si elle était notre bouée, le seul repère physique et identifiable dans tout cet abstrait. A un moment, dur de savoir au bout de combien de temps, on retourne vers la ville. Découverte de la base aérienne dans laquelle 20.000 soldats, officiers, mécaniciens et autres ont préparé l’aviation américaine à intervenir dans la seconde guerre mondiale. C’est également d’ici qu’est parti Enola Gay, le bombardier ayant lâché Little Boy sur Hiroshima. La vidéo présentée dans le petit musée loue la bravoure des G.Is partis avec le désir désintéressée de libérer les Européens des griffes des méchants.

On voit l’orage arriver depuis l’ouest, les gouttes de pluie sont lourdes et les montagnes ne seront rapidement plus visibles. On rentre au Rainbow zapper entre vieux épisodes de Friends et les nouvelles de l’Utah sur la Fox locale. Le soleil revient en fin de journée. Il est grand temps de descendre en enfer pour dîner sous les néons du Rain Forest avec ses serveuses en chemise hawaïenne. Après un all you can eat on conduit jusqu'en haut d'une colline pour regarder le désert version panoramique. Paraît qu’on peut y observer la courbure de la terre, mouais, mais c’est très joli dans la lumière déclinante. Ce soir on évitera les bars et les tables de jeu.

Mercredi 29 juillet



Sun Tunnels

Nous voilà dans une ville Casino, à la frontière de l’Utah et du Nevada. Terre de Dieu d’un côté, Terre du Diable de l’autre. West Wendover est du bon côté. On a enregistré au Rainbow Casino, la salle de jeux est inondée de néons bleu et rose, la musique joue en continu, les slot machines sonnent, le cliquetis des jetons ponctue le tout. Marco discute avec un local au comptoir pendant que je me laisse déborder par les sens. Les joueurs sont affalés dans leurs fauteuils et pressent les boutons des machines sans payer de mine, pas de sourires, pas d’éclats de voix. L’air est lourd d’odeurs artificielles, il n’y a pas de fenêtres. Il ne faut surtout pas que les clients gardent conscience de la vie de dehors, ici on est dans une autre dimension. Le gars au comptoir passe le plus clair de sa retraite ici. Do never start gambling, it’s a bad thing. Il a une carte de fidélité et ne paye ni sa chambre ni ses repas. En d’autres termes, c’est un bon client du Rainbow.

Nous sortions du désert de sel vers 19h lorsque nous avons découvert cet oasis. On revenait d’un jeu de piste consistant à trouver le site sur lequel Nancy Holt a installé Sun Tunnels il y a une trentaine d’années. Quatre tuyaux en béton, posés en fonction des points cardinaux, avec de petites ouvertures permettant d’observer les constellations célestes à certaines heures de la nuit et selon les saisons. On avait atteint Sun Tunnels après 2h de conduite sur une route rectiligne à l’infini au milieu de nulle part. L’installation n’est évidemment indiquée sur aucune carte routière, mais nous y avons tout de même rencontré des êtres vivants. Un couple de Néerlandais passionnés de Land Art, qui eux, avaient prévu de bivouaquer sur le site cette nuit. Je me sens un peu touriste Japonaise en n’y passant qu’une seule heure et demie. Et me pose la question du sens « d’aller sur place » ; qu’est-ce que ça apporte à la compréhension d’une œuvre que de la voir soi-même ? Après un temps de réflexion, je pense que c’est la sensation corporelle, sensuelle, d’être face à, et cette fois dedans, qui fait sa valeur ajoutée. Fouler la terre de celle qui a eu l’idée d’orchestrer cette installation un peu n’importe quoi – je veux dire quatre tuyaux de chantier au milieu de nulle part, pourquoi faire ? Et bien ils permettent de regarder le désert autrement, dans le sens où l’embout du tuyau focalise le regard, pour commencer. Ensuite, parce que les quatre tuyaux matérialisent les points cardinaux, ce dont on aurait difficilement conscience s’ils n’avaient été. Enfin, parce que c’est simplement fou de se dire que quelqu’un a pu avoir cette idée in the first place et du coup, l’initiative même de cette entreprise devient sujet de réflexion. L’expérience physique de cette installation se traduit aussi par une sensation de dessèchement aigu, on a la gorge qui brûle et les yeux rougis qui piquent. La chaleur est supportable en cette fin de journée vu le vent qui souffle sur le plateau. Mais c’est plein de sel, l’appareil photo en témoignera.

Le premier signe de civilisation en quittant Sun Tunnels est un bled nommé Montello, à 45 minutes de conduite sur des routes de gravier soulevant des nuages de poussière visibles à des dizaines de kilomètres. On avait prévu d’y prendre une chambre, d’autant qu’elle aurait été à $35, mais l’atmosphère était oppressante. Trop white trash avec ses modular homes en décrépitude, ses pick-up abandonnés et ses habitants au regard incertain. L’expérience du bar à Sundance apparaît soudainement comme de la rigolade par rapport à Montello. Et c’est comme ça qu’on a échoué dans la ville Casino sur la frontière.

Ce matin en revanche c’était une autre histoire. L’air était très frais lorsque nous avons levé le camp à 8h de Jackson. Nous avons petit-déjeuné dans un café macrobiotique proposant une liste interminable de herbal teas et de pancakes au blue corn. La basse pression atmosphérique de ce resort a fait mauvais ménage avec ma propre basse tension, et j’ai passé la matinée dans les montagnes à observer mes pensées qui dérapaient, dès que je cherchais à me concentrer je me sentais glisser vers un néant anarchique. Drôle de sensation que d’être ivre à peine levée. Alors j’ai pas cherché à discuter intelligemment mais me suis laissée conduire par mon chauffeur parfait qui, lui, adore la montagne.

Après trois heures de montagnes et de vallées nous nous sommes arrêtés à Malad City, qui a mérité un grand nombre de photos et l’achat de t-shirts au diner local (Malad Drive In since 1955). Une salade Burger King et un plein d’essence. Puis nous avons continué sur la petite 38 de Holbrook à Stone, environ 50 habitants chacun. A Stone nous avons bifurqué sur la 30 qui nous a mené à Lucin même pas indiqué sur la carte, comme quoi ça sert d’avoir un GPS merci Marco. Lucin est un oasis au milieu de rien, quelques arbres autour d’un plan d’eau, résultant d’inconnus d’il y a un siècle qui avaient établi un arrêt pour le rail road passant par là mais abandonné depuis. Lucin ne porte même plus la trace des maisonnées qui avaient dû l’honorer à l’époque. Ca fait drôle d’y repenser alors que j’ai en face de moi des rangées de slot machines au moment où j’écris ces lignes. Quel saut dans le temps, quelle différence entre formes de civilisation dans un même pays. Parce que, paraît-il, Lucin offrait un abri à des humains il y a encore vingt ans. Unbelievable.

La voix des croupiers se fait plus discrète, mais celle du commentateur sportif télévisé est toujours aussi insistante sur les énormes écrans télé au-dessus de ma table noyée dans l’air conditionnée du Rainbow Casino. Reste le gars qui change l’argent liquide en jetons endiablés juste à côté. Je suis surprise qu’ils me laissent tranquille avec mon ordinateur dans un Casino, d’habitude c’est absolument interdit. Risque de triche oblige. Et aucun accès Internet au Rainbow alors on doit trainer sur les parkings des Motels alentours proposant du wifi.

mardi 28 juillet 2009

Mardi 28 juillet

Breathtaking Yellowstone

Réveillée à 5h30, difficile de me rendormir. A 7h le réveil de Marco sonne et on quitte le Motel de Tom le Maverick pour petit-déjeuner dans un hangar de graillon. On guette l’ouverture du Wear House de l’autre côté de la rue à 8h30, j’y achète de belles bottes de cowgirl selon la dernière mode du Far West. On verra comment elles passent à Belleville - Paris.

On conduit deux heures pour entrer dans Yellowstone, ce parc national aux grands espaces. Le barrage de Buffalo Bill pour commencer, un lac artificiel entouré de montagnes. Puis on découvre le Yellowstone Lake, naturel celui-là, à l’eau glacée à peine supportable, mais claire à ne même pas la distinguer. Autour de nous des forêts de pin brûlés, il reste juste les troncs émaciés et noirs comme des Mikados. On s’engouffre dans le parc et le trafic de touristes ralentit. Des Buffalos traversent la route, ces drôles de bêtes à l’arrière trop bas et au devant chargé de peluches pendantes. Ils roam’ent, un son qui leur sort du fond des entrailles, don’t mess. Alors que les panneaux rappellent régulièrement qu’il ne faut pas s’en approcher, des familles avec jeunes enfants sortent des voitures pour aller les photographier. Quels cons. On continue sagement notre safari par la toiture décapotable de la 4x4 citadine et nous arrêtons pour une salade plastique avant d’aller à l’attraction principale qu’est Old Faithful, le premier geyser répertorié dans l’histoire du pays. Parkings à perte de vue, chemins balisés jusqu’au formidable trou au milieu d’une roche qui ressemble à rien mais d’où s’échappe des nuages de vapeurs d’eau.

On a ouï-dire par un Ranger que la prochaine irruption est prévue pour 16h40. Ca paraît bien précis pour un Français, rappelons qu’il s’agit tout de même d’un phénomène naturel. On se balade autour du spot, le long duquel des touristes observateurs comme nous sont installés, caméras prêtes à dégainer. Le puits crache un peu, tout le monde s’affole, mais toujours rien. A côté de nous on vérifie sa montre, plus que 8 minutes. Attendez les gars, on est pas à Wall Street. N’empêche que 2 minutes avant l’horaire annoncé, le vieux geyser commence à s’activer, de plus en plus, et puis ça y est, le voilà qui monte d’un mètre, de deux, de cinq, woaw de dix. Old Faithful est en plein délire, comme l’avait vu le premier explorateur de ces contrées perdues il y a plus d’un siècle. Le spectacle dure 4 minutes, et puis s’éteint. La moitié du public est déjà repartie, c’est l’heure d’aller chercher sa glace bien méritée. Nous marchons vite en direction de la voiture pour quitter le parc au plus vite, avant les bouchons. Malgré nos efforts on y est pris et mettrons une bonne heure à en sortir.

La journée touche à sa fin lorsque nous parvenons enfin à quitter les Yellowstone pour entrer dans Grand Teton. Des montagnes Toblerone se profilent le long d’un lac de montagne, bleu sur bleu, c’est beau. On continue d’avancer, avec un vieux mal de bide (paraît que c’est l’altitude), jusqu’à Jackson. Une station de ski pour wealthy people. On enregistre au Motel Teton Gables vers 20h, puis dînons d’un burger sur le deck peuplé de white trash regardant le baseball sur grand écran. On s’effondre à 21h30.






























lundi 27 juillet 2009

Lundi 27 juillet





"But I swear it was in self-defense"


Ce matin on se laisse dormir, Marco a du sommeil à récupérer et moi je me remets de mes émotions d’hier soir. Suis pas dans mon assiette, ça m’a pas mal affecté cette interaction avec Kelly. Quelques heures de réflexion plus tard, j’y verrai plus clair et arrête d’y penser. On quitte le motel vers 11h à la recherche d’un truc à manger et tombons sur un café, juste à côté du Sundance Yoga Center, qui ressemble étrangement aux cafés hip des campus universitaires côtiers. Je demande à la jeune blonde derrière le comptoir s’il y a beaucoup de touristes de passage dans la ville, oh oui, Sundance est à l’intersection de plein de parcs nationaux. Le tourisme est très bon pour le business. Ah d’accord, parce qu’hier soir on a eu une drôle d’interaction dans le bar. I’m not surprised, oldtimers don’t really like new people. Elle par contre aime bien rencontrer des étrangers, c’est pour ça qu’elle travaille ici.

On fait un tour dans le Magasin vendant des bijouteries et peaux Natives avant d’entamer la petite route qui nous mènera à Devils Tower. Ce pic rocheux, qu’on voit dans Rencontres du 3ème type, est le premier monument naturel classé comme tel des Etats-Unis. Le genre de formation bizarroïde de la nature qui laisse sans voix. Incompréhensible de voir ce truc gris verdâtre qui sort de nulle part, dans une région plutôt plate et boisée par ailleurs. Aux alentours la terre est rouge ou bien composée de prairies desquelles sortent des marmottes, elles ne sont plus effrayées par les touristes et posent même devant la caméra. On fait le tour de l’édifice à pied, une balade de 45 minutes entre sapins et gros cailloux qui se sont détachés il y a des milliers d’années.



Retour à la voiture vers 14h, on rejoint la 90 à Moorcroft où on s’arrête prendre du carburant ; du café pour Marco, de l’essence pour la voiture et des photos des villageoises à cheval pour Magda. Pendant que Marco s’occupe de la voiture, je vais lui chercher le café. La fille me demande tout de suite d’où je viens, de Suède – Europe, Oh that’s we’re you say « oui » for « yes » ? Euhm non, ça c’est en France. Pourtant elle avait vu un film sur une nageuse professionnelle qui était Suédoise, ça y est ça me revient, elle disait « jaaaa ». Voilà, ça c’est du suédois. Marrant qu’elle ait fait cette confusion entre suédois et français, je n’avais pourtant pas révélé mon identité française. « Muurcee » dit-elle quand je pars, have a nice one. La route est belle, vallonnée et verdoyante. A l’approche de Gillette, Marco se gare sur le bas côté, retire les clés et pose ses mains sur le volant. Qu’est-ce qui se passe ? Un State Trooper, chapeau de shérif vissé sur la tête, vient nous voir. Vous allez où comme ça ? A Yellowstone, je sais que j’ai dépassé la limitation de vitesse, désolé. Papiers du véhicule et permis siouplé, voici. Il retourne à sa voiture quelques minutes et revient avec un PV. Alors voilà, la route est limitée à 75 mph, vous étiez à 85 alors vous avez deux possibilités. Ou bien vous vous présentez au Court House de Gillette le 27 octobre, ou bien vous payez l’amende par voie postale. D’accord. Et je vous ai enlevé $10 parce que vous aviez bouclé la ceinture. Merci. Le Trooper avait surtout enlevé 10 mph à son calcul, ce qui a considérablement baissé la note, c’est cool. On paiera par chèque, le tribunal de Gillette est un peu loin de Boston et de Paris…

On redémarre en respectant la vitesse indiquée. Le ciel se couvre devant nous, c’est drôle de voir les nuages de pluie se former à l’œil nu. Heureusement il ne pleut pas par ici. Je sors la caméra pour filmer ces jeux de lumière mais ai à peine le temps de l’allumer que tout devient blanc compact autour de nous. Quelque chose de fort et bruyant s’abat sur nous, on ne voit même plus le bout du capot, toute la voiture tremble. Marco essaye de ralentir mais la route est sous l’eau et on risque l’aqua-planning. Et si on ralentit trop vite, quelqu’un risque de nous rentrer dedans par derrière. La scène se passe en quelques dixièmes de secondes, mais on a le temps de considérer une infinité de paramètres. Dont le cadrage de la caméra que je garde cramponnée dans ma main. La pluie se transforme en grêle, on roule à 2 à l’heure et finissons par sortir de la route pour rouler dans l’herbe au cas où quelqu’un arriverait derrière nous. Quelques minutes plus tard on y voit plus clair, les voitures sont arrêtées le long de l’autoroute warnings allumés. En passant à hauteur d’un motard on baisse la vitre pour demander si on peut faire quelque chose pour lui ? C’est peu dire qu’il est trempé jusqu’à la moelle. Lui rigole, il ne reste plus que ça, alors que ça femme est hystérique. Bon courage les gars.

On arrive enfin à Sheridan. Arrêt salade-plastique dans un Mc Do à 17h avant d’entamer la route des montagnes qui nous conduira enfin à Yellowstone. Le problème est qu’on ne voit même pas les montagnes, tellement le ciel est bas et pluvieux. On a pas le choix de toute façon, alors on s’engouffre dans les nuages. La visibilité se limite à quelques mètres, de plus la route est en reconstruction et les nids de poule ponctuent les coulées de boue. Soudain les nuages se lèvent et on découvre des paysages magnifiques, vallées, prairies, canyons, rouge, vert, arbres brûlés. Sur les coups de 20h on entre dans Greybull, 1800 habitants, une rue principale avec des bars sans fenêtres et des magasins fermés. Une gare ferroviaire industrielle. Un feu de croisement. On prend une chambre au A Maverick Motel dont les façades et parking sont emplis d’objets de décoration difficilement identifiables. Tom le patron nous fait signer un document nous engageant à payer $750 si nous fumons ne serait-ce qu’une cigarette dans une de ses chambres. Ok tout doux, ça va bien se passer.

Sur le perron on discute avec Bill le voisin qui est ici depuis bien trop longtemps déjà (février). Il travaille à la gare ferroviaire comme conducteur, mobilisable 24/24 selon les interminables trains de marchandises arrivant dans la région. Ce soir on n’ira pas dans le Bar parce que la route sera longue demain. Tant pis pour les interactions à surprise avec les locaux.

dimanche 26 juillet 2009

Dimanche 26 juillet



Cowboys en moto et au comptoir


Réveil à 6h50, impossible de me rendormir. Je laisse Marco tranquille et bidouille silencieusement dans mon coin. Vrai petit-déj en self service dans le Motel. Sous prétexte de demander la route à la réception, j’engage la conversation avec Vicky. Lusk, avec ses 1500 habitants, vit grâce à deux activités. Le ranching, comme on a pu le constater hier soir, et la prison d’Etat pour femmes, moins mise en avant. Vicky trouve que la population a changé depuis une dizaine d’années, elle ne reconnaît plus tout le monde dans la rue. Selon elle, des gens de Californie tendent à s’installer dans le Colorado, ce qui pousse les habitants de ce dernier à monter dans le Wyoming. Mais pourquoi, parce qu’ils veulent changer de mode de vie demande la Parisienne ? Non, les gens du Colorado étaient déjà des ranchers alors ils rachètent des terres ici. Et la crise financière, elle se ressent ? Nan, même si le prix du bétail a baissé je ne vois pas trop de différence, à Custer le trafic sur les highways est toujours aussi soutenu, ça m’étonne d’ailleurs. En plus il y a du pétrole ici, et la prison d’Etat emploie toujours du monde. Et la grippe porcine, c’est un truc qui inquiète ? Pff, ils n’arrêtaient pas d’en parler aux nouvelles il y a quelques temps mais ici on se sent plutôt protégé. Pour sûr qu’ils sont à l’écart de tout à Lusk, sauf de la neige et du vent en hiver…



On quitte le bled vers 9h30, faisons un tour à la prison mais on n’a évidemment pas le droit d’y entrer. Alors on reprend la 85 vers le nord, direction Newcastle, où on s’arrête dans un Pamida, sorte de grande surface vendant des t-shirts démesurés, des roues de carriole et des chips. Je tente leurs produits de beauté, on verra bien. On tourne à droite sur une petite route et on entre dans les montagnes basses et la forêt. On marque un nouvel arrêt dans Custer, un village honorant les Native Americans par des reproductions de statues taillées dans le bois, des peintures d’Indiens et autres tipis. C’est drôle parce que Custer était précisément le général ayant dirigé le Great Indian War dans la seconde moitié du XIX dans ces régions. On a l’embarras du choix pour le déjeuner et nous choisissons le Cattleman’s Family Diner parce qu’ils affichent des lunch à partir de $3.99. Enorme intérieur en bois avec d’autres tipis et statuettes en bois. Marco prend un patty melt (comme un burger, mais en plus raffiné, avec oignons et servi dans des toasts au blé complet). Pour ma part, je demande une grilled chicken salad. On m’apporte un plat de fromage râpé avec quelques feuilles de salade et des bouts d’omelette. Je signale au serveur qu’il semble y avoir une erreur, non non c’est bien du chicken breast. Never mind.



On poursuit jusqu’au Crazy Horse National Monument, un début de sculpture dans la roche d’un profil de chef Indien du même nom. On le voit tellement bien depuis la grille du parc qu’on s’embarrasse pas d’y entrer. Continuons vers Mount Rushmore, où là par contre on est prêt à s’arrêter. On gare la voiture sur le parking à cinq étages et suivons le flot de touristes obèses, glace dans une main, poussette dans l’autre. La dizaine de mètres qui nous sépare du Grand View Terrace célèbre la fondation des Etats-Unis, Etat par Etat, chacun avec sa date et son drapeau.



L’entrée sur le belvédère est spectaculaire et la vue des profils des Présidents Washington, Jefferson, Roosevelt et Lincoln est belle. Moins époustouflante qu’on aurait pu s’imaginer mais c’est un joli travail. Une petite Ranger, serrée dans son costume kaki sous un chapeau en dur, hurle que la visite guidée va commencer. On se joint au troupeau. Elle précise d’emblée que le tour ne demandera pas trop d’efforts physiques, on a failli avoir peur. Pendant qu’elle raconte l’histoire du site, sans trop entrer dans les détails gênants sur le fait que ce site est un total manque de respect envers les terres saintes des Indiens, je tente de gérer la bestiole de 2cm avec quatre ailes remontée par le bas de mon pantalon et le fait que ma caméra ne répond plus aux commandes. Il me reste l’appareil photo et je shoote en continu. 30 minutes plus tard la visite est terminée, nous revenons au belvédère où Marco boit un double espresso pendant que j’achète une casquette Sturgis. Très important d’avoir un couvre-chef aux couleurs locales. D’autant que ça facilitera nos rapports avec les nombreux gros circulant en Harley Davidson, Sturgis étant Le Rendez-vous annuel des Hell’s Angels dans les environs.

De Rushmore on reprend la route toujours vers le nord, ce matin Vicky m’avait chaudement recommandé un Scenic Byway entre Lead et Spearfish. On s’attendait à rouler sur la crête du canyon mais le chemin ondule finalement dans une vallée boisée. A la sortie de Spearfish on tourne vers l’ouest sur la 90 et passons par un bled nommé Beluah. 33 habitants indique le panneau à l’entrée de la ville. Mais on s’y arrête pas, parce que plus loin il y a Sundance, le village du Kid de Butch Cassidy, qui propose trois Motels et un bar ouvert le dimanche soir. Sundance compte quand même 2000 habitants, d’après le panneau vert officiel, mais je me demande où ils se cachent étant donné qu’il n’y a qu’une seule rue. Devant le Bar, des chevelus à barbe, Bud à la main. A l’intérieur, des blondes au comptoir sirotent des cocktails incertains. Nous demandons un six-pack de Bud, nous aussi, et enregistrons au Rodeway Inn. A côté de la chambre 131 se dessine un carré d’herbe avec une table de pique-nique. Elle sera parfaite pour notre premier apéro. Sur le parking des motards admirent leurs bécanes entre mâles, les femelles se tiennent pas loin. J’ai été surprise aujourd’hui par le nombre de femmes enfourchant des Harleys, elles ne se limitent pas toutes au rôle de passager.

Marco part nous chercher un dîner au Subways, sandwich et salade. Le soleil se couche et les moustiques entrent en scène. Devant the office des gens rigolent dans la nuit. Il est 20h55. Plus tard on décide de retourner au Bar. Au comptoir on fait la connaissance de Kelly. Elle est de Sundance, a 49 ans et un fils de 10 ans. Elle n’aime pas Obama parce que c’est à cause de lui que les mines de charbon et les puits de pétrole ont fermé, alors plein de gens sont au chômage. Sa proposition de loi sur le système de santé ne lui paraît pas bonne non plus, paraît que vous les mecs en Europe vous ne payez rien mais moi j’ai du mal à y croire. Alors tu ne penses pas que Obama soit une solution ? Carrément pas ; je dis pas ça parce qu’il est Noir hein. Et Mc Cain il aurait fait mieux ? C’est pas dit. Nous on est des Vrais Américains et les politiciens ils n’y comprennent rien à la vraie vie en Amérique. Ils ferment nos mines et nos puits, qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? On paye notre tournée, le bar est vide à l’exception de Kelly et de ses potos Mark et un Indien à tresses et à la voix cassée. Il a eu un cancer de la gorge mais refuse de se faire installer la petite boîte, il ne boit que des Ice Tea. N’empêche que quand j’offre ma tournée, l’Indien prendra un whisky coke en allumant une clope. Il est déjà allé en Suède, quand il tournait avec Led Zep. La discussion suit son cours et les propos de Kelly, qui carbure au whisky, deviennent de plus en plus confus. A un moment j’ai un doute et lui demande de qui elle parle. Parce qu’elle explique que si je m’approchais de son jardin elle me tirerai dessus sans hésiter, parce que je suis qui pour venir leur faire la conversation comme ça? Demande-elle sur un ton agressif en soulevant mon t-shirt pour vérifier si je porte pas un micro caché. Mais qui vous envoie à la fin, qu’est-ce que vous nous voulez ? Je sais pas si elle rigole ou si elle est sérieuse alors dans le doute je réponds pas tout de suite, la laisse faire, souris, puis finis par lui dire que je suis confuse et que je ne comprends pas ce qui s’est passé, pourquoi elle me parle comme ça. Il doit y avoir un malentendu, nous ne sommes que des touristes de passage. Les yeux de Kelly cherchent à me fixer, puis elle finit par se confondre en excuses. Mais qu’est-ce qui lui a pris, elle est tellement désolée, elle me prend dans ses bras et me serre très fort. Je dis que c’est pas grave, même si mes mains continuent de trembler. J’embraye sur les Harley Davidson, justement son mec en a une et c’est tellement sensuel de monter dessus. Nos échanges s’orientent vers des propos plus féminins, je cherche à détendre l’atmosphère. Là-dessus Marco vient me secourir en proposant de rentrer, parce qu’il commence à se faire tard (23h), alors nous quittons la compagnie en nous remerciant respectivement. Pendant qu’on refait les 50 mètres en voiture jusqu’au Motel Marco explique que le gars avec qui il discutait commençait à se montrer suspicieux tendance agressive, toujours sur le thème du « mais vous êtes qui ? ». En tournant le loquet de la chambre je me demande s’ils ont repéré notre voiture sur le parking. Notre étrangeté, si charmante en début de soirée, s’est avérée menaçante quelques whiskies on the rocks plus tard. C’est la première fois que j’ai eu un peu peur dans ce pays.

Dehors le vent se lève et l’orage se prépare, minuit s’approche. J’espère simplement que les gars du Bar sont trop torchés pour entreprendre une expédition punitive.

samedi 25 juillet 2009

Samedi 25 juillet


Long Horn Cow Milking Contest

Réveillée bien avant le réveil, Felitia et Manuella me déposent à l’aéroport. Il fait froid à SF en été, on avait même allumé le chauffage cette nuit. J’ai le temps de me réchauffer dans le vol pour Denver – Colorado qui décolle à 11h. Je retrouve Marco à la sortie de l’appareil deux heures et une salade plastique plus tard, il est arrivé de Boston quatre heures plus tôt et a dormi par terre dans un couloir en attendant. Sur le parking devant le terminal il fait chaud et moite, on attend la navette qui nous emmène à la location de voiture. Vers 16h on a récupéré une énorme bagnole, intérieur cuir noir, toit ouvrant et radio satellitaire (paraît que c’est classe).


On prend directement la route vers le nord. Devant nous le ciel forme un mur compact, la pluie ne tardera pas à tomber. A peine passée la frontière du Wyoming les couleurs changent du foncé au clair, les champs vallonnés sont jaunes, les troupeaux de vaches noirs, les vieux en Harley Davidson barbus.

On quitte la 25 à Douglas et entrons dans Lusk vers 19h. Petit tour pour repérer les Motels, étonnement nombreux pour une ville de cette taille. Par ailleurs un bar et un diner, un petit supermarché et un Radioshack abandonné. On enregistre au Covered Wagon Motel et repartons immédiatement au stade où se déroule l’animation du samedi soir. Nous assistons, bouche bée, au Long Horn Cow Milking contest. Des équipes de quatre, portant la même chemise et des noms fantastiques (The Rangers, Tom’s Farm Cowboys), deux à cheval pour attraper la pauvre vache beuglante au lasso, un troisième pour la renverser, un quatrième pour la traire et ramener la bouteille au jury.

Sur les gradins des familles en jeans clairs et chapeaux de cowboy, les jeunes mères portent les nouveau-nés, les hommes se chargent des poussettes. Les garçons portent fièrement des Stetson dès 5 ans et ont déjà la démarche de leurs pères. A côté de nous un gars selle son canasson pendant que sa petite tient les rennes (elle arrive au genou du cheval). Elle fait la belle devant ma caméra, dit qu’elle s’appelle Amy et le cheval Pepsi. Son père l’encourage à nous demander d’où on vient. From France !? What brings you guys to Wyoming ? Il contourne son cheval, ôte son chapeau et vient nous serrer la main. Il a les cheveux courts et blonds, son visage est rouge de soleil. Nice to meet you, I’m Tom. Vous êtes d’ici? Oui, mais maintenant j’habite à une dizaine de miles. Ah ok. Il pose sa fille sur la selle et part vers l’arène, c’est bientôt son tour d’entrer en piste.

Les jeux s’arrêtent à 20h. On a le choix entre deux restaus ; the pizza place ou le diner, mais la fille du Motel semble nous dire que le second est un pari risqué. Allez, on le prend. Un espace carré qui sent le graillon, deux tables avec des vieux en casquette et chemise aux manches coupées. La serveuse, petite vieille blondie aux grosses baskets, nous apporte le menu. On voudrait un bacon burger et une omelette, avec un side order of letuce. Cette dernière prendra la forme de trois feuilles de salade pliées sur une assiette, pourquoi pas. On ne fait pas de vieux os et rentrons au Motel alors que le diner commence juste à se remplir. On s’étonne de voir les gens sortir aussi tard, mais il fallait bien ranger les chevaux et les vachettes.

J’ose pas imaginer ce que doit être la vie à Lusk en hiver, dans la neige et le froid, avec ses deux rues et son unique croisement. Les plaines commencent dès la station-service. Les trains de marchandises sifflent à chaque passage. Nous sommes en terre cowboy pour de vrai.


Vendredi 24 juillet


Le jour le plus long

J’arrive bien à l’heure à Roissy. D’abord une heure pour enregistrer, puis il n’y a qu’un seul mec dans tout l’aéroport pour vérifier les cartes d’accès à la zone d’embarquement alors on refait la queue en s’énervant et en se roulant les valises sur les pieds des voisins. Passage à la sécurité avec ses bacs plastique à remplir de bombes éventuelles. Le temps que j’atteigne le gate ils en sont au dernier appel pour embarquement immédiat. Mon siège dans la dernière rangée, juste à côté des WC, est un de ceux dont on ne peut incliner le dossier. Neuf heures de vol c’est long, «it’s a torture» dira la fille coincée sur le siège du milieu. Je l’avais déjà remarquée à l’enregistrement parce qu’elle est jolie, les traits bien dessinés, les cheveux noirs épais. Vue de près, il s’avère en plus qu’elle a une dentition parfaite.

Je sens qu’elle a envie de parler et comme nous approchons de la fin du voyage, je me montre plus ouverte. C’est sa première fois en Europe, elle et son ami reviennent d’un mariage dans le sud de la France. Ils vivent à Los Angeles, ah bon et c’est comment ? C’est sympa parce qu’on surfe tous les deux, on aime bien le hiking et partir skier alors c’est pratique. Maintenant c’est vrai qu’il y a beaucoup de voitures et plein de bouchons, mais avec le métier qu’on fait on est pas prisonniers du 9 à 5. Des fois on bosse intensément, des fois pas du tout alors on s’organise comme on veut. Parce que vous faites quoi ? «We’re actors» répond-elle en baissant les yeux, l’air gêné et en même temps des étoiles plein les yeux. Et la crise, vous en sentez les effets ? Oh oui, il y a moins de travail. Les acteurs finissent par accepter des rôles qu’ils n’auraient jamais envisagé autrement, y en a même qui font d’autres métiers. Beaucoup de gens quittent la ville, ils n’ont plus les moyens de payer leur morgage. Ca fait un écrémage quoi, à la fin on verra qui étaient les vrais, ceux qui auront survécu la crise. Faut juste tenir le coup. Parce qu’il n’y a aucune caisse d’assurance pour les acteurs. La crise financière est venue avec celle de l’immobilier et en plus la grande grève des scénaristes, LA a été triplement frappée. Et Obama, vous en pensez quoi, c’est l’homme de la situation ? Certainement. Inutile de rappeler que les grandes villes des côtes sur plutôt Démocrates. Au moment où l’avion entame la descente, la jolie brune me propose un Hollywood chewing-gum. Je trouve ça très à propos.

Une fois posé à Charlotte – North Carolina, on nous dit de rester assis. Le service d’immigration est surchargé et ils ne peuvent pas nous laisser descendre. Alors on attend dans ce tube métallique qui chauffe peu à peu dans le cagnard. Une fois dans la salle de débarquement glacée, on attend encore une heure le temps de passer la douane. Mon prochain vol décolle dans 20 minutes alors je cours avec les forces qu’il me reste récupérer mon sac, l’enregistrer de nouveau, repasser à la sécurité. Je galope dans le dernier couloir en tenant mon pantalon, pas eu le temps de remettre la ceinture, et les baskets à peine relacées jusqu’au satellite. Dans le haut-parleur, j’entends le type dire que dans 3 minutes ils attribuent les places vides aux passagers qui attendent en stand-by. Haletante et tremblante d’hypoglycémie, je tends ma précieuse carte d’embarquement, le gars me dit un truc que je mettrai plusieurs secondes à comprendre, « voos èt yne bel famm ». Encore 5h de vol. Il me reste quelques dollars pour acheter un sandwich plastique et m’étonner, avant de m’endormir, de la taille des hôtesses qui ont du mal à passer entre les sièges.

A San Francisco Manuella m’attend à la livraison des bagages, Felitia nous récupère à l’entrée de l’aéroport et on part direct dîner à Castro, le district gay. Je demande un Red Bull pour me tenir éveillée, bois une grosse gorgée et me rends compte que le barman a dû prendre pour acquis que le Red Bull se servait avec vodka (et pas un peu). Des amis nous rejoignent, je suis à moitié les conversations mais note surtout cette remarque : « You can’t get drunk on a steak ». On rentre chez Felitia vers 23h. Jane, sa chienne, nous fait la fête. Au-dessus du lave-linge dans la cuisine est affichée une carte routière des US avec le tracé de tous les roadtrips que Felitia a déjà réalisés.

Ça fait plus de 24h que je suis debout et la fatigue semble passée, j’ai dû louper mon cycle de sommeil. Demain ça repart dès 8h30.

jeudi 23 juillet 2009

J-1


Il est bientôt minuit, jeudi 23 juillet 2009. Je pars à Roissy-CDG dans neuf heures pour embarquer vers San Francisco et un nouveau roadtrip qui me mènera dans le Far West. Sur la trace des Cowboys et des Anges.

Lorsque Linda et Marco étaient venus à Paris à l'occasion de la release party de "Motels", on avait longuement discuté des effets de la crise financière aux Etats-Unis. Ils décrivaient les bidonvilles qui émergeaient autour des grandes villes californiennes, des villes nouvelles en Floride qui n’avaient pas eu le temps d’être investies par leurs acquéreurs avant que les herbes folles ne les recouvrent. Ayant traversé le pays à peine deux ans auparavant, cela m’a touché et j’ai décidé sur le champ d’effectuer un nouveau voyage. C’était il y a trois mois.

Dès le lendemain, Linda m’a mise en relation avec une de ses amies. Felitia, que je n’ai encore jamais rencontrée, est enseignante dans une public highschool dans la Silicon Valley. Elle viendra me chercher à l’aéroport de SF demain soir (dans un millier d’heures). Après une courte nuit chez elle, je prends un vol pour Denver – Colorado. J’y retrouve Marco, nous récupérons une voiture de location et partons direct pour une première semaine sur la route. Dakota du Sud, Wyoming, Montana et Utah avec leurs spectacles naturels et œuvres d’artistes fous ou géniaux, à voir. Le 31 juillet nous retrouvons Felitia à Salt Lake City – Utah ; Marco nous quitte et je poursuis la route avec elle. L’objectif est de revenir à San Francisco le 11 août. Felitia pour préparer ses cours en vue de la rentrée des classes, moi pour faire connaissance de cette ville mythique. Le 14 je prendrai un vol pour le Vieux Continent et le 15 je serai de retour à Belleville.

Ce voyage sera différent de celui l’été 2007. D’abord parce que je ne pars pas en terre inconnue (enfin, pas tout à fait), ensuite parce que je ne voyagerai pas seule. La complexité, et en même temps la richesse de cette V2, sera la cohabitation et la confrontation directe avec l’altérité. Je ne serai pas seule à décider de la route ni des arrêts, je ne dormirai pas seule dans les motels et j’aurai toujours quelqu’un avec qui échanger mes impressions. Je ne sais trop à quoi m’attendre mais je reste confiante. Et surtout, super excitée à l’idée de ce que je vais découvrir.

La nuit est tombée sur les immeubles gris de Belleville, le ciel est bas et bétonné. Mon sac n’est pas encore fait et j’ai déjà l’impression d’avoir oublié plein de choses. Ma tête est emplie d’Andalousie sèche et poussiéreuse traversée il y a une dizaine de jours, de la Bretagne marine et pluvieuse de ce week-end, de Narbonne rose et ventée encore ce matin. A côté de moi, un superbe appareil photo bridge offert par mon Cowboy de Vegas, un notebook installé par mon gentil voisin (merci Olivier), un tas de documents et de coordonnées à glisser dans un des sacs. Pourvu que les douanes ne soient pas trop longues. Rendez-vous dans le Dakota du Sud, un café et l’addition.